Achevée le dimanche 6 juillet à minuit (moins une) sous l’apothéose d’un spectacle de haut vol – Les lettres à Lou, de Guillaume Apollinaire – rassemblées, adaptées par Laurence Campa, magistralement interprétées par Gérard Desarthe (Guillaume Apollinaire), et la cantatrice Nathalie Dessay (comtesse Louise de Châtillon-Coligny) – avec Philippe Cassard, au piano (à queue)- et…. d’un orage d’apocalypse fracassant, la 19e édition du Festival de la correspondance de Grignan me laisse, il faut vous l’avouer, une impression de profond désarroi. Voici pourquoi:
Elle a eu l’élégance suprême- innée- de n’en point parler durant cette nouvelle édition , menée avec brio, Anne Rotenberg, directrice artistique du Festival, depuis bientôt 15 ans, signait sa dernière orchestration… Discrète, efficace, intègre, exigeante, pro jusqu’au bout des ongles, Anne Rotenberg a fédéré rencontres de haut vol, les plus belles lectures épistolaires, adaptant, liftant, boostant à l’intention d’un public sans cesse croissant d’aficionados, les missives des personnages les plus illustres. Sa culture littéraire est abyssale. Elle est la colonne vertébrale du Festival.
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Revenons sur quelques moments forts d’une édition, vouée au centenaire épistolaire de 1914, de l’entrée en guerre et de cette Belle époque qui précéda les hostilités.
Inaugurée par Bruno Durieux, maire de Grignan, président-fondateur du Festival, l’édition démarra le 1er juillet par un spectacle … prémonitoire, chantant, allègre et envolé, Avant l’orage, signé Philippe Meyer. Les spectateurs étaient conquis .. S’ensuivit une magnifique adaptation de la correspondance – prolixe- d’un Claude Debussy, grande plume, interprété par Samuel Labarthe. L’occasion de découvrir un brillant épistolier . et d’acquérir, auprès des éditions Gallimard, les milliers de pages (2330 ..) que le spectacle avait judicieusement condensées.
Mercredi 2 juillet:
Incarné par Didier Brice, Roland Dorgeles écrivait, depuis la solitude de la tranchée, son besoin vital d »échanges épistolaires, tantôt crânant pour rassurer les siens, tantôt craquant, de langueur, d’ennui et de peur
Depuis la collégiale, la merveilleuse Claire Chazal incarnait, cette année, Alexandra Feodorovna, épouse de Nicolas II, dernier empereur de Russie. Pressée par les conseils de Raspoutine, l’impératrice exorte son mari à faire preuve d’autorité. Elle n’entend pas les pas d’une révolution qui sourd…
La lecture fut suivie, à 22 heures, d’une mise en scène et interprétation remarquables: la dernière correspondance d’Alain-Fournier (Raphaël Peronnaz) de son amour fauché.- par voie de guerre – pour l’actrice Madame Simone as Pauline (Romane Bohringer) Pénétrés d’un rôle qu’ils avaient minutieusement préparé , les acteurs reçurent une standing ovation à la mesure de leur grandiose interprétation.
Un peu de (haute) couture au programme du jeudi 3 juillet et la vision (et états d’âme) d’une figure mythique de la Belle époque: le couturier Paul Poiret, parfaitement incarné par Jean-Paul Bordès.
Incarnant cette fois, Romain Rolland, Didier Brice nous revenait (photo ci-dessous , qui correspondait avec Stefan Zweig (Lucas Henaff) au-dessus de la mêlée. Touchante attitude de deux hommes profondément pacifistes ; poignante douleur que ressent Zweig à la brusque rupture de ses relations avec le poète Emile Verhaeren.
(Photo : Marie-Christine Delforge)
Pas follement convaincante, la lecture de la correspondance fictionnelle de Sacha Guitry et de son ami Paul Roulier- Davernel permit tout de même d’admirer l’aisance, la réelle prestance de Davy Sardou (Paul)
Vendredi 4 juillet révélait une des grandes découvertes – et réussites – du Festival: celle de Darius, de Jean-Benoît Patricot, attributaire du prix Durance Beaumarchais – SACD 2014
Dévolu au thème du parfum plutôt qu’à celui du Festival, Darius se nourrit d’échanges épistolaires entre Claire (Marie Bunel) une mère désemparée par la progression inéluctable du mal qui ronge et tétanise son fils handicapé, Darius et Paul (Patrick Catalifo), ancien nez d’une parfumerie, rongé, lui, par le deuil de sa femme.
Créatif, poignant, alternant les moments d’intense émotion et les allègements loufoques et bienvenus, le texte est soutenu d’une interprétation remarquable, d’une mise en scène sobre, efficace, idoine, signée Murielle Magellan. Une représentation qui ne peut rester lettre morte…. Le texte sera publié auprès des éditions Avant-Scène. Nous lui souhaitons un puissant avenir théâtral.
Samedi point à l’aube, gorgé d’humidité qui nous fait craindre pour la tenue extérieure de notre traditionnel et annuel petit déjeuner de L’Epistolière.
L’invité en était Jean-Pierre Guéno,
Directeur de la Culture d’Aristophil et partant des musées des lettres et manuscrits de Paris et de Bruxelles, commissaire de l’exposition , largement commentée sur ce blog, Entre les lignes et les tranchées (cliquer sur la vignette en vitrine du blog)
Prélude aux rencontre de 10 heures 1870-1914, Le chaudron de l’apocalypse et lecture de 12 h 15 Belle époque ? le chaudron de l’Apocalypse , Jean-Pierre Guéno exposa devant une tablée subjuguée les enjeux coloniaux véritables de la Grande Guerre: « La guerre coloniale est, en fait, la toute première guerre mondiale. »
Constituée pour une part de lecteurs du magazine L’Eventail, la tablée associa festivaliers belges et français en une amène convivialité.
Edité par les éditions Triartis, le livret Belle époque? le chaudron de l’Apocalypse fut rapidement « sold out » tant les propos de l’orateur conquirent l’assemblée venue l’écouter lors de la matinée à Grignan.
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Dimanche 6 juillet.
Après la lecture spectacle consacrée à la correspondance de captivité de Jacques Rivière, beau-frère d’Alain-Fournier, les spectateurs se virent offrir une rencontre extraordinaire: celle de Laurence Campa, biographe d’Apollinaire et de l’ouvrage majeur publié en 2013, auprès des éditions Gallimard, Guillaume Apollinaire, biographie , aux termes de 8 années de recherches et de travail assidus.
Interrogée par Karine Papillaud, Laurence Campa prêta sa voix mélodieuse à la lecture de lettres et de poèmes d’Apollinaire, nous offrant de la sorte un moment de grâce et de toute beauté; la rencontre fut suivie d’une approche du dernier roman de Véronique Olmi – La nuit en vérité (Ed. Albin Michel, août 2013 – billet de faveur en vitrine du blog) par le prisme de la grande guerre, de la présence de Lucien Berthier et d’événements de sa propre histoire familiale que l’écrivain nous fit l’honneur de nous révéler: un grand-père (maternel) donné pour mort et …sauvé, à 18 ans, de l’horreur des tranchées.
Ne concluons ce compte rendu sans souligner le travail des nombreux bénévoles du pays de Grignan qui, fédérés de main de maître par Marie-Josèphe Baqué, prêtent maisons, chambres d’écriture, joyeuse et conviviale main-forte à la parfaite organisation des rencontres et lectures-spectacles. Au fil des années, on a même l’impression de faire partie de leur belle et grande famille…Ils confèrent à la manifestation une atmosphère extraordinaire. Un petit goût de paradis, tout bonnement.
Votre correspondante, Apolline Elter
Je vous vante pour votre critique. c’est un vrai charge d’écriture. Développez