Dédiée aux philosophes, la 17e édition du Festival de la Correspondance de Grignan (4-8 juillet 2012) avait toutes les allures d’un grand cru. Le public ne s’y est pas trompé qui accourut en grande affluence, rendant l’assistance à quelques rencontres particulièrement dense…
Nous relèverons celles qui nous ont spécialement emballée, …en subjectivité assumée.
Dévolus à Jean-Jacques Rousseau dont la fin juin fêtait le tricentenaire (de naissance) les spectacles d’ouverture – mercredi 4 juillet (parvis de la collégiale) – pointèrent la double aversion du célèbre philosophe pour l’acte épistolaire et… son ennemi, Voltaire. A Jacques Bonnaffe (photo) et Jean-François Peyret succéda le duo Rousseau/ Voltaire, subtilement incarné par Michel Vuillermoz et Laurent Stocker, sociétaires de la Comédie française. Les gradins étaient combles qui rassemblaient un public de choix venu assister à l’ouverture des festivités. Présidée par Bruno Durieux, maire de Grignan et fondateur du Festival, cette dix-septième édition avait pour invité d’honneur, le philosophe Régis Debray, pour marraine, fidèle, rayonnante et attendue, la journaliste Claire Chazal. La programmation artistique est assurée depuis 2000 par Anne Rotenberg.
Jeudi 5 juillet.
Etabli avec fougue et passion, le portrait de Jean-Jacques Rousseau, dressé par Raymond Trousson, d’après sa correspondance restera un des moments forts du Festival. Nous avons eu la joie insigne de rencontrer notre compatriote, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, spécialiste du XVIIIe siècle et, en particulier, des biographies de Rousseau, Diderot et Voltaire et de lui signifier un enthousiasme qui ne restera lettre morte!
L’adaptation par Anne Rotenberg de la correspondance d’Abélard (Jérôme Kircher) et d’ Héloïse (Irène Jacob) imprima au couple mythique des accents particulièrement contemporains. Magistrale intérprétation de Jérôme Kircher et de la célèbre actrice de La double vie de Véronique.
Subtilement adaptée par Julia de Gasquet, la correspondance que Descartes entretint avec Elisabeth, Princesse de Bohême fut l’objet d’un coup de foudre et d’une infusion dominicale (High Tea de ce dimanche 15 juiillet à 17h)
(Avec Lara Suyeux, dans le rôle d’Elisabeth de Bohême.)
Vendredi 6 juillet:
La cour des Adhémar était déjà comble de spectateurs venus assister au Dialogue des sages établi par Frédéric Lenoir tandis que les nouveaux arrivés tentaient mordicus de se frayer un chemin pour assister au Portrait des femmes philosophes – Simone Weil et Hannah Arendt – magistralement dressé par Laure Adler (compte rendu demain sur ce blog)
La journée de samedi 7 juillet ne fut pas en reste qui nous mena,sidérés et émus, à écouter de la voix de Fanny Cottençon, les lettres de Rachel Bespaloff à Jean Walh et la lente maturation d’un suicide inéluctable.
Radieuse, généreuse Fanny Cottençon qui ne fit qu’une avec le texte – adapté par Anne Rotenberg – épousant le destin de Rachel Bespaloff et le drame son exil aux Etats-Unis, au prix d’une émotion vraie et palpable.
Dimanche 8 juillet s’ouvrit sur une rencontre hors du commun: celle d’Alexandre Jollien, Le philosophe nu.
Infirme moteur de naissance, l’écrivain suisse se fait le chantre de la « tentation du non-détachement », de l’accueil -et même d’un certain abandon – des émotions et d’un changement de regard sur le handicap. Reconnaissant avec sincérité et un humour confondant être parfois en proie à la « panade psychologique », le philosophe insistera sur l’importance de la bienveillance absolue et du regard qui en est empreint: « On peut sauver des vies en ayant une attitude bienveillante et spontanée«
S’il ne lui est pas loisible de changer un état de fait – son handicap- le philosophe l’accepte malgré lui, conscient qu’il est illusoire de vouloir régler tous les problèmes pour être heureux. Prôner un détachement à tout prix vis-à-vis de cet état créérait dès lors une tension difficilement gérable. Partant, il vaut mieux refuser de le refuser que de tenter à tout crin de l’accepter (CQFD). Ce sera précisément le sujet de son prochain ouvrage, Le traité de l’abandon.
De plus en plus méfiant vis-à-vis de la philosophie et des discours qui l’enrobent, Alexandre Jollien conquit un public vaste d’une juste empathie. Animée par Karine Papillaud, la rencontre était orchestrée par l’association suisse « Et si on s’écrivait« . Elle restera un moment (très) fort du Festival.
Le Festival se conclut, dimanche soir, sur une note (plus) légère, d’une conversation épistolaire, aimablement désabusée, entre Cioran et Guerne, ensemble contre tous, le philosophe roumain et le poète suisse, merveilleusement interprétée par Sam Karmann et Martin Lamotte.
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