Une femme invisible

« Pauvre Marguerite, traitée de haut par ceux qui ne voient  en elle qu’une image avortée de ce que deviendra son fils. Pas même une femme de lettres, pas même une romancière ratée que le fils aurait coiffée au poteau  en faisant mieux qu’elle. Non, on reproduit les couvertures de ses romans au même titre que ses aquarelles et que les bons points du catéchisme que le grand écrivain avait gardés religieusement. On se contente des titres et des pauvres images. » 

Hantée, habitée dans sa vie quotidienne par la singulière abstraction de Marguerite Toucas- Massillon  des  biographies consacrées à son fils, le célèbre poète, romancier, Louis Aragon (1897- 1982) , l’essayiste entreprend une vaste enquête pour l’extraire de l’ombre.

Elle associe le lecteur à ses investigations, doutes, fausses routes, méthodologie, traçant par touches délicates, bienveillantes et .. passionnantes, le portrait d’une femme courageuse, dévouée, exploitée jusqu’en ses titres et qualités.

Tombée sous le charme de Louis Andrieux, homme respectable – il fut préfet de police, il fait de la politique  -, de trente-trois ans son aîné – il a 57 ans –  et marié –  père de trois fils,  Marguerite met au monde Louis,  le 3 octobre 1897.

Aucun acte de naissance n’est dressé; il faut entendre 1914, la guerre et les prévisions d’enrôlement, pour qu’il le soit, à titre  rétroactif.

Le scandale de sa naissance est évité  par la volonté de Claire, sa grand-mère, qui ne veut pas ajouter à la honte de sa faillite conjugale, celle de la maternité illégitime de sa fille….

Elle décide donc d' »adopter » l’enfant,  le dote de parents fictifs , des amis  décédés accidentellement, en Espagne  – et du patronyme d' »Aragon »

L’honneur est sauf

Confinée au rôle de soeur aînée, Marguerite ne révèle à Louis sa véritable filiation qu’en 1917,  lors du départ de ce dernier pour le front.

Jamais Aragon n’appelle, de son vivant, sa mère, « maman »

Quant à son présumé parrain, Louis Andrieux, il ne couchera pas Marguerite sur son testament, la contraignant à produire des romans alimentaires pour s’en sortir.

Ecrit avec une tendresse et une intégrité intellectuelle avérées, le récit restitue à une femme de qualité, sa dignité bafouée.

Une lecture recommandée

Apolline Elter

Une femme invisible, Nathalie Piégay,, récit, Ed. du Rocher, août 2018, 346 pp

Billet de ferveur

AE :  Vous avez rendu vie à une femme injustement oubliée. Il semble que vous ne voulez pas en rester là. Vous êtes toujours  à la recherche des lettres envoyées à ses deux Louis ( Andrieux et Aragon) :

Nathalie Piégay :  Marguerite Toucas-Massillon est entourée de zones d’ombre. On en sait infiniment moins sur elle que sur son fils Louis Aragon et sur le père de celui-ci, Louis Andrieux. Elle a pourtant publié elle aussi (des romans sentimentaux et des traductions). J’ai imaginé qu’elle avait aussi écrit comme le faisaient souvent les femmes à cette époque : des lettres à son fils, à son amant, et un journal intime. Ses lettres n’ont pas été retrouvées. Peut-être le seront-elles un jour ? Ce sont ces silences, ces manques, qui m’ont poussée à inventer cette femme, et à mêler à l’enquête la fiction et l’imagination. 

 

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