Avec un titre à la Kipling – contrarié- l’essai de Frédéric Ferney nous offre une incursion flamboyante – quelle plume, quel style – dans l’âme d’un personnage mythique, Winston Churchill himself (1874-1965) décédé voici tout juste 50 ans, jour même du décès de son propre père, 12 ans auparavant.
Un père, Lord Randolph, qui n’a pour lui qu’indifférence, mâtinée de mépris. Ce dernier aurait pu anéantir le jeune Winston – assez cancre et assez laid – il décuple son ardeur: Winston n’aura de cesse, toute sa vie, de combattre le spectre de ce père si peu aimant, de se tailler une réputation – un mythe, celui du « lion victorieux » – qui ferait rosir de fierté les fantômes les plus exigeants.
» Always savor the thrill »
Doté d’un tempérament susceptible, belliqueux, intrépide, déconcertant mais pas au point d’en être cynique, farouchement optimiste, pragmatique, radicalement patriote – le sang des Marlborough coule en ses artères- Winston va trouver dans l’exercice militaire, en Indes, Afghanistan, Egypte, Afrique du Sud, durant la Grande Guerre,… le terrain idoine pour assouvir ses passions, le tremplin de son ambition politique.
» Pour lui, le Mal n’est pas une affaire de morale, c’est un agent actif et un principe éternel qu’il faut se résoudre à combattre s’il menace l’Angleterre, c’est-à-dire l’ordre et la paix mondiale.«
Parodoxe de l’Histoire: Hitler, son meilleur ennemi, participera activement de la construction du mythe « Churchill ».
« Hitler détrôna l’ennemi intérieur de Winston. En suscitant une haine exemplaire, il fut un avatar providentiel qui exhaussa son courage et son amoralité souveraine. Hitler lui offrit un rôle, une vocation, un rang dans le tourbillon de l’Histoire;«
Une lecture que je vous recommande instamment
Apolline Elter
« Tu seras un raté, mon fils! », Churchill et son père, Frédéric Ferney, essai, Ed. Albin Michel, janvier 2015, 264 pp
Billet de faveur
AE: Il y a du Shakespeare – Hamlet en l’occurrence – en Winston Churchill. Le rejet de son père, son tempérament sanguinaire… auraient pu faire de lui un délinquant. Mais le sang anglais, patriote coulait en ses veines. Ce sont les guerres – et principalement Hitler – mais aussi la foi de son épouse Clémentine qui l’ont sauvé de lui-même?
Frédéric Ferney: Orphelin et roi, c’est tout un !… Enfant, Churchill n’a cessé de vouloir conquérir l’affection d’un père, Lord Randolph, qui non seulement n’a pas su l’aimer mais n’a cessé de le repousser et de l’humilier. Et si sa vaillance au combat, ses bravades, qui ont été le mirage de sa jeunesse – en Afghanistan, en Haute Egypte, en Afrique du Sud – ne traduisaient que le souci de briller aux yeux d’un père longtemps aveugle et disparu prématurément ? En tous cas, pas de musique plus douce à ses oreilles que le fracas d’une charge de lanciers et le sifflement des balles de l’ennemi ! La guerre, c’est aussi une façon de tenir en laisse son démon, le Chien Noir, la malédiction ancestrale des Marlborough, ces crises de dépression, ces pannes de la volonté aggravées par l’alcool, qui parfois l’accablent. L’inaction, l’ennui, c’est sa hantise. En suscitant une haine exemplaire, Hitler a été le remède qu’il n’attendait pas et que l’Histoire lui a offert. Si la Seconde Guerre mondiale n’avait pas éclaté, Churchill n’aurait été, peut-être, devant le jugement de la postérité qu’un raté mondain comme le lui prédisait son père ! Il a puisé dans la guerre une énergie, et même une forme de bonheur, une vérité, qu’il n’a jamais trouvées ailleurs. Quant à Clémentine, sa femme, Winston n’a jamais déposé les armes que devant elle. Winston a toujours cru en son étoile mais sans elle, il serait mort de froid…
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