» Adieu Rose! Adieu Camille! Au revoir mes jolies! Claire, Gwendolen, Isadora,Hilda, Nuala, Jelka, Kathleen, Jeanne ou Georgette et toutes les autres, les éphémères, les oubliées, les diablesses, les folles, les mystiques – la liste est longue! Elles ont beau avoir été là, de bon cœur, elles n’ont su qu’habiter un coin de son lit, accroître l’ombre de ses nuits, épaissir sa solitude, Une à une, elles se sont envolées comme des notes. »
Tout est dit.
De toutes ces femmes que le célèbre sculpteur a approchées, convoitées, aimées, pétries,… pétrifiées, Frédéric Ferney trace le portrait. Ce faisant il nous révèle la singulière complexité de la vie affective de ce « queutif » invétéré, prédateur d’une chair qu’il transforme en pierre.
S’il n’épouse Rose Beuret, la compagne de ses jours, qu’à l’extrême fin d’une vie conjugale chahutée, il fera couler beaucoup d’encre et de larmes engrangeant avec la jeune Camille Claudel (1864-1943) une liaison passionnelle mal conclue. A son corps ..défendant, rappelons ce « monstre frais, rafraichissant, tyrannique.. » qu’est la jeune fille de 1882 – elle n’a pas 18 ans – toute imbue d’une assurance, d’une supériorité héritée en droite ligne du clan Claudel. Nous reviendrons sur le sujet.
D’une plume raffinée, magique, magistrale, Frédéric Ferney nous enchante, une nouvelle fois, d’un essai fabuleux, richement illustré, menant à riche port son art de l’introspection
Une lecture hautement recommandée
Apolline Elter
Rodin amoureux, Frédéric Ferney, essai illustré, Ed.Rabelais, oct.2016, 150 pp
Billet de ferveur
AE : Vous dévoilez, Frédéric Ferney, en Rodin « affamé de spasmes et de caresses », « un enfant que sa mère n’osait pas toucher » . Voyez-vous en cette frustration de la prime enfance la source – compensatoire – de son art ?
Frédéric Ferney :
Je n’en sais rien du tout!
Dans Rodin amoureux, je me pose une question: par quels détours, par quelle instigation de l’âme et des choses devient-on soi, par exemple Rodin?
J’explore son enfance parce que l’enfance est « la mère des secrets » (Aragon) mais je ne crois pas qu’il y ait, ni là ni ailleurs, un mécanisme secret qui régisse l’existence de Rodin. Je m’attache plutôt dans ce livre à vérifier un pressentiment, à déceler moins des indices que des sensations – Rodin lui-même préférait de loin les sensations aux idées. Ou peut-être des présages, des petits cailloux que je ramasse sur le chemin, comme les pièces manquantes d’un puzzle, forcément inachevé et lacunaire.
Ce n’est ni une biographie – je suis bien trop paresseux! -, ni une étude clinique du cas Rodin.
Il y a dans une vie, à côté de ce qu’on sait (événements, dates) et de ce qu’on voit (les oeuvres), des heures oubliées, des jours que le temps efface et que les biographes ignorent, des zones intouchées, fugitives, où je m’oriente et où Rodin surgit dans sa lumière intime, entre chien et loup.
C’est une vie rêvée.
Je marche à côté de lui, je m’invite dans ses silences, je m’aventure dans ses nuits, et je lui prête ma voix. Je remplis les blancs (ou les trous noirs) de son existence, avec le pinceau le plus fin possible et avec le souci de ce que les peintres italiens appellent: le fa presto. Car je le veux vivant…
Rodin avait des doigts dans les yeux et des yeux au bout des doigts. Quelqu’un peut-il me prouver le contraire?
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