» Mon Robinson sans mot, sans surprise et sans fard, Sans sermon, sans surmoi, sans projet d’avenir, Sans bouteille à la mort au secours du hasard »
Adressé à son fils « oui-autiste« , un poème beau, mélodieux ouvre ce récit, témoignage d’une relation père-fils hors du commun.
Laurent est docteur en Langues et Littératures romanes
Il enseigne la littérature française à l’Université de Liège, en Belgique. Barthes, la langue, les signifiants, les signifiés, il connaît …
Il est poète, aussi.
Il est surtout le père de trois enfants, dont le cadet, âgé aujourd’hui d’une quinzaine d’années est « oui-autiste », absolument rétif à notre langage, isolé des pratiques de notre société, vulnérable face à ses innombrables dangers. Aussi, quand il en a la garde, le père se consacre-t-il entièrement à son fils, son « bébé de Damoclès ». Ce qui exige une vigilance de chaque instant, mais aussi une appréhension neuve et vivifiante de la réalité:
» Comme si, en compagnie de Robinson, je sortais un oeil hors de mes pensées pour entrer plus avant dans la réalité du monde. «
Car c’est bien cela, le coeur, l’âme de ce témoignage sublime: observant ce fiston de 10 ans – à la date du récit – par le double prisme du père aimant et de l’entomologue, Laurent Demoulin tente, par tous les moyens, et surtout sans établir de hiérarchie ni de jugement, de créer une passerelle de communication entre deux univers radicalement incompatibles. Ce faisant, il ose le paradoxe, n’hésite pas à remettre en question nos propres modes de fonctionnement, notre rapport à la vie.
Les péripéties se succèdent sous formes de chapitres thématiques, tantôt courts, vifs, emportés, tantôt plus détaillés, qui décrivent le quotidien semé d’embûches – les écueils des courses au supermarché, d’une virée à la piscine, … tant d’épisodes tragi-comiques – de ce couple père-fils et de la sorte de huis-clos que la société leur impose.
Un humour manié d’autodérision et d’une très belle plume parcourt cette séquence de péripéties, qui ouvre large, primordial pan à la scatologie, ses effets, ses fantasmes, dotant l’éternel duo Eros-Thanatos d’un partenaire excrémentiel assez inédit.
Une lecture de toute puissante facture
Je vous la recommande vivement
Apolline Elter
Robinson, Laurent Demoulin, récit, Ed. Gallimard, oct. 2016, 240 pp
Billet de ferveur
AE : La communication est au cœur de ce récit. Les « non-autistes » que nous pensons être sont, en somme, les autistes des « oui-autistes » ?
Laurent Demoulin : Jolie formule ! Oui, en un sens, on pourrait dire cela : les uns sont mystérieux et difficiles à comprendre pour les autres, dans les deux sens. Mais il me semble surtout qu’aucune forntière ne sépare nettement les oui-autistes et les non-autistes : il s’agit d’un continuum tout au long duquel se rencontrent autant de cas que d’individus. Sur cette chaîne infinie, tous les chaînons sont des intermédiaires entre les deux extrémités.
j’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur à Passa Porta, c’était un très beau moment et c’est une lecture que je peux recommander moi aussi 🙂
Merci ADRIENNE pour cette précision et ogre ferveur !