De l’usage du présent et de sa plume magistrale Eric Orsenna nous plonge dans la relation longue, quasiment complice et loyale qui unit Louis XIV à son jardinier -entendez son architecte paysagiste – André Le Nôtre.
Après six années passées sur le chantier du Louvre -lequel prépare Versailles à bien des égards – André Le Nôtre gravit un à un les degrés de la hiérarchie et est engagé à Vaux-le-Vicomte pour réaliser les jardins du somptueux château de Nicolas Fouquet, surintendant des finances. Il sera débauché par Louis XIV, de même que l’architecte Le Vau et le peintre Le Brun pour l’édification de Versailles, après la grandiose fête de lèse-majesté donnée par le surintendant, le 17 août 1661.Fête qui vaudra à ce dernier, trois semaines plus tard la disgrâce que l’on connaît: "Qu’est-ce qu’un surintendant jongleur comparé au roi de France" ( p52). Résultat : Louis XIV lui pique tout : meubles, tableaux, statues, livres tapisseries, arbres, plantes et collaborateurs.
Commence pour André Le Nôtre, déjà à l’automne de sa vie, la réalisation d’un projet gigantesque, animé d’esprit cartésien et de longues promenades quotidiennes avec Louis XIV. Car le souverain veut décider de tout, sur les conseils éclairés de son jardinier. Et l’on assèche les marais qui dégagent une indiscible puanteur pour y creuser un grand canal en croix de 23 hectares.
"Pour Versailles, Louis XIV veut de l’eau, toujours plus d’eau" (p80): c’est l’avènement de la fameuse machine de Marly, véritable monstre bruyant constitué de roues géantes et de trois mécanismes destinés à amener l’eau.
"Les témoignages concordent sur la bonté foncière de Le Nôtre, son égalité de caractère, son humour en toutes ciconstances, sa spontanéité, sa simplicité…"(pp97-98). Ajoutons qu’il était mari fidèle et qu’il savait plus que quiconque rester à sa place. C’est ainsi qu’à la fin de sa vie, sentant que Louis XIV "se croyait devenu jardinier", il lui demandera la grâce de pouvoir se retire, évitant tout agacement qui eût pu découler de cette prérogative royale.
On ne peut que regretter l’absence d’écrit laissée par ce génie: "Il laisse ses oeuvres s’en aller seules dans le temps. A d’autres, s’ils veulent d’en tirer des principes et des systèmes"(p 149)
Apolline Elter
Eric Orsenna, Portrait d’un homme heureux. André Lenôtre 1613-1700, Gallimard, Folio, 162 pp.
(Livre de poche)
Première édition : Paris, Gallimard, 2000.
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