Promu grand-père par l’adoption d’un garçonnet – sa fille s’est découverte stérile – le narrateur entreprend la rédaction d’une longue, très longue missive – elle couvre l’intégralité du roman – à ce « cher inconnu« .
Bilan d’une vie de « brave gars« , le récit explore séquentiellement , « par ordre d’apparition dans [sa] vie » les relations de l’épistolier avec tous les êtres qui ont compté pour lui mère, père (tôt décédé) soeur complice, grands-mères contrastées, voisins, amis, profs, collègues, épouse, enfants, .. et événements marquants.
Quelque peu mécanique, le procédé de galerie de portraits laisse progressivement le champ libre à l’expression d’émotions fortes, profondes, de celles qui vous arracheront des larmes si vous n’y prenez garde. Tels les portraits de MM. Arioso, Macé, de Madame Marguerite,…. Un chapitre consacré à sa femme, véritable traité d’amour … sur la durée, résonne comme une déclaration aussi sobre qu’hautement flatteuse:
« Lorsque j’essaye de disséquer l’amour que j’ai pour ma femme, j’y trouve une connivence patinée par le temps, améliorée au jour le jour. C’est l’un des ciments de notre union. Cette alliance muette n’est pas spectaculaire. Elle se nourrit d’un rien, d’un regard et de petits gestes qui nous montrent combien nous nous comprenons.«
Assez rare dans le chef d’un homme, cet épanchement introspectif humble et lucide, se fait, tour à tour acte de sympathie, de bienveillance, de contrition.
Une lecture recommandée.
Apolline Elter
Par ordre d’apparition, Thierry Bizot, roman, Ed. du Seuil, 6 mai 2016, 352 pp
Billet de ferveur
AE : La forme épistolaire adoptée pour la rédaction du roman accentue son côté « dépôt de bilan », lui confère une indéniable allure testamentaire. Est-ce pour cela que vous l’avez choisie ?
Thierry Bizot : La forme d’une longue lettre, que ce vieil homme écrit à son petit fils sans l’avoir encore rencontré lui permet tout d’abord de la légèreté, un récit au fil de la plume, au gré des pensées vagabondes et des souvenirs souriants. Mais une lettre autorise aussi une certaine profondeur, car on n’écrit pas tout à fait comme on bavarde.
Oui, vous l’avez dit, cette lettre peut ressembler à un testament. Et cela m’a fait réfléchir à ce qu’on pouvait laisser comme trace à ses héritiers.
Notre parcours professionnel, qui pourtant nous accapare, nous anime, nous préoccupe, parfois nous glorifie, et pompe beaucoup de notre énergie… nous finissons toujours par l’oublier. Quand je me retourne sur mon passé en entreprise, je peux en dessiner les grands contours, me rappeler quelques dates marquantes… mais plus aucun souvenir émotionnel.
Il y aurait bien la somme de toutes les petites sagesses que nous avons accumulées tout au long de notre vie : en réalité elles ne servent qu’à nous-mêmes et nous serions bien incapables d’épargner à quiconque de faire ses propres erreurs, sa propre expérience…
Que reste-t-il de valable à donner alors ? Que reste-t-il, qui ait laissé une trace vivante, palpitante, dans notre vie ?
Il reste toutes les histoires d’amour et d’amitié, petites ou grandes, toutes ces chaleurs humaines partagées qui nous ont construit, révélé à nous-même et grandi. »
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