« L’enfant qui dort devant moi est né depuis cinq ans bientôt six. Le temps a passé et je ne l’ai pas vu grandir, les enfants c’est le travail des mères. Moi je porte des armes j’abats des cerfs et je pars chasser pendant une semaine en bivouaquant sous les étoiles ou dans une tente, et au milieu de ces espaces‑là il n’y a pas de place pour un enfant. »
Et c’est bien là l’enjeu de ce bouleversant roman: le lent apprivoisement d’amour d’un père envers son fils.
Liam, le narrateur, est chasseur. Il est rustre et volontiers ermite, bannissant téléphone, télévision et autre télé-méfaits de notre civilisation. Ava, sa femme l’a suivi dans cette vie à l’écart du monde et du temps, et le couple a conçu Aru, – cinq ans, bientôt six – et délégué Ava pour pourvoir au bien de l’enfant.
« Soudain je l’ai trouvée, elle était allongée sur l’herbe un peu plus loin elle n’aurait jamais dû être là immobile et je sais que j’ai crié »
Ava est morte, sous les crocs d’un ours et l’égoïste équilibre de Liam s’en trouve à jamais modifié.
« C’est ainsi que tout a commencé. »
Convaincu qu’il ne peut pas garder son fils avec lui, Liam l’emmène en ville pour le confier à son oncle Tan et sa tante Jo; ces derniers refusent et commence pour LIam et Aru une longue errance à travers les forêts -et … toujours les forêts – ponctuée de belles et d’effroyables rencontres et d’ une lente, très lente maturation dans le chef de Liam de cet amour paternel enfoui en lui sous des couches de rejets.
« Je ne suis pas capable de parler à un enfant j’ignore comment on fait. »
Et puis Aru lui rappelle Ava et c’est assez insoutenable. L’enfant est courageux, mûr, il subit en silence les brimades paternelles: son portait n’en est que plus attachant, j’ose dire bouleversant.
Porté par la voix de Thierry Hancisse, le récit se magnifie de cette sobriété fruste que l’écriture de Sandrine Collettre rend si bien.
Un roman d’initiation double, qui vise tant l’enfant que le père et mène ce dernier à surmonter les dégats affectifs de sa propre enfance.
Une lecture majeure que je vous conseille tant livresque qu’audiolivresque.
Apolline Elter
On était des loups, Sandrine Collette, roman, Ed. JC Lattès, août 2022, 208 pp/ Ed. Audiolib, septembre 2022, texte intégral lu par Thierry Hancisse, de la Comédie-Française, 1 CD MP3, durée d’écoute : 3h58