(…) Enfin le jour malheureux arriva, où je vis moi-même, et de mes propres yeux bigarrés, ce que je n’avais pas voulu croire. Si les cornes me fussent venues à la tête, j’aurais été bien moins étonnée… « *
Chère Marie de Sévigné,
Des lettres se réclament de votre plume et d’un compte si bien pourvu déjà de missives d’anthologie
Dernier en date, un plaisant pli, soi-disant adressé à Françoise de Grignan, votre fille, qui se répand sur les réseaux sociaux, plus vite que Covid
A une vitesse Corano V
Et d’évoquer un certain confinement…
Accrochez-vous, voici les propos que vous attribue d’aucun faquin, inspiré plaisantin (ou plaisantine) :
« Surtout, ma chère enfant, ne venez point à Paris !
Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous dans nos appartements.
Monsieur Vatel, qui reçoit ses charges de marée, pourvoie à nos repas qu’il nous fait livrer, Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une comédie de Monsieur Corneille « Le Menteur », dont on dit le plus grand bien.
Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues à la Cour, ni les dernières tenues à la mode.
Heureusement, je vois discrètement ma chère amie, Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous régalons avec les Fables de Monsieur de La Fontaine, dont celle, très à propos, « Les animaux malades de la peste » ! « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
Je vous envoie deux drôles de masques ; c’est la grand’mode. tout le monde en porte à Versailles. C’est un joli air de propreté, qui empêche de se contaminer, Je vous embrasse, ma bonne, ainsi que Pauline. »
Et le (la) fieffé coquin (e) de dater vos propos du « jeudi 30 avril 1687″…
Outre que, comme chacun le sait, le 30 avril 1687 tombait un mercredi, il va sans dire que les autres incongruités sont légion
Relevons notamment la menton de François Vatel,… dont le tragique suicide remonte au 24 avril 1671
Nous avons contacté Madame Jacqueline Duchêne, biographe, romancière, membre de l’Académie de Marseille, spécialiste des lettres de la Marquise de Sévigné, qui collabora aux côtés de son mari, feu le Professeur Roger Duchêne, à l’établissement de l’édition de sa correspondance , en 3 volumes, aux éditions de la Pléiade ( Ed. Gallimard 1973-1978- réédition 2005) .
Envahie, elle aussi, de la réception, multiple et bien intentionnée de cette lettre fantaisiste, Jacqueline Duchêne souligne, entre autres inepties, l’intervention bien improbable d’un Mazarin décédé en 1661…
Et d’ajouter au registre des incongruités : , il y a celle qui concerne le « Menteur » de Corneille, créé en 1643, et que la fausse lettre présente comme une nouveauté qu’il faut aller découvrir. »
Et de sucroît :
» En avril 1687, Mme de Grignan EST à Paris, elle y est avec sa mère, qui n’a par ailleurs aucune raison de lui écrire ce genre de lettres puisqu’elles sont ensemble. Il en sera ainsi jusqu’en septembre où la mère qui a vécu en août la mort du Bien Bon, partira pour les eaux de Bourbon (7ème séparation). «
Merci à vous, Jacqueline Duchêne!
Se non è vero…
Rassurez-vous, belle Marquise, nous veillons au grain et au respect de votre plume à nulle autre pareille.
Votre Apolline
- A Paris, ce 26e juillet 1668, ( Correspondance de la Marquise, texte établi, présenté et annoté par Roger et Jacqueline Duchêne, (Ed. Gallimard)- La Pléiade) – 3 volumes (1973- 1978- réédition 2005)