« Le voile épure la beauté de la femme belle. Il offre dans un écrin ses traits dépouillés de tout artifice » estime Evren tandis qu’il s’apprête à demander sa cousine Derya en mariage. Mais la belle et sensuelle jeune fille tente de rompre le joug des mariages imposés dans la communauté turque de Cologne où elle vit.
« On a beau voiler la femme, la tenir en bride, faire jaillir sur la table, chaque soir la lame bleue d’un couteau à cran d’arrêt, autant se battre les flancs. La minute où elle dira oui ou non reste là, suspendue sur la vie à venir, plus redoutable encore si sa liberté tout entière se ramasse sur cette unique sentence. »
Accusée d’avoir souillé l’honneur de sa famille, Derya trouve refuge à Liège, auprès de René, entrepreneur de pompes funèbres….
Radioscopie plaisante – on connaît la verve d’Armel Job, son sens piquant de la formule , son plaisir évident de l’introspection, du suspens et de la narration – des méfaits d’un certain intégrisme, le roman, polyphonique, sonde, avec un subtil respect, la liberté de la femme musulmane contemporaine.
Grand conteur devant l’Eternel, l’écrivain tient le lecteur en haleine d’une histoire bien ficelée, aux rebondissements finement déconcertants..
AE
Loin des mosquées, Armel Job, roman, Robert Laffont, février 201, 274 pp, 19 €
» Je suis rentrée dans le monde des vivants en corbillard » déclare Derya, évoquant son salut et la figure attachante de René, héros malgré lui d’une histoire qui n’est pas la sienne. Il fallait toute la force de votre imagination, Armel Job, pour rendre la rencontre inéluctable. Vous paraissez solidement documenté sur le métier des pompes funèbres.
Armel Job : Le roman pour un romancier, c’est une exploration du monde. Je m’intéresse à tout ce qui m’intrigue, à tout ce que je ne comprends pas. Par exemple, comme tout le monde, je crois, j’avais un peu de mal à comprendre qu’on puisse être croque-mort. J’observais les croque-morts dans les enterrements. Il y en a qui ont une dignité, une délicatesse extraordinaires. J’éprouvais une profonde sympathie pour eux. J’avais envie d’en mettre en scène un depuis longtemps. Je ne me suis pas vraiment documenté. J’ai seulement rencontré un entrepreneur qui m’a gentiment expliqué les formalités et la procédure pour la crémation.
AE: Vous cultivez le paradoxe avec une joie gourmande, refusez le manichéisme de portraits tranchés. Les portraits de Derya et Yasmine, les deux héroïnes, sont nimbés de mystère et d’une certaine ambiguïté. Est-ce le gage de leur autorité sur les hommes, partant, de leur vraie liberté?
Armel Job: Dans le discours « politiquement correct » de la vieille société occidentale, la femme musulmane, la femme voilée, est une victime. C’est le stéréotype qui nous vient spontanément à l’esprit. Il n’y a qu’à entendre ceux qui veulent interdire le voile : ils se présentent comme les chevaliers de la liberté des femmes. Comme si la société occidentale pour sa part n’imposait aucune contrainte aux femmes ! J’ai essayé de regarder les choses, non de l’extérieur, comme nous le faisons ordinairement avec nos yeux d’occidentaux, mais de l’intérieur. Vus de l’intérieur, tous les êtres humains sont les mêmes. Ils essaient de se débrouiller pour être eux-mêmes avec les contraintes qui sont celles de leur milieu culturel. Ils sont parfois nobles et parfois lâches. Comme tout le monde.
AE: Le roman met en scène des personnages quelque peu marginaux que vous présentez avec une dérision empreinte de sympathie : un entrepreneur des pompes funèbres met rarement ses interlocuteurs à l’aise, des hommes perclus de mâle orgueil et de code d’honneur, pas davantage; dans la tête de Marcel, il y a place juste pour une intelligence d’enfant« … . Est-ce une façon de mieux les intégrer à notre société?
Armel Job: Je ne cherche pas particulièrement la marginalité. Je n’ai aucun goût pour l’exotisme. Les gens dont je parle sont là, sous nos yeux. Tous les jours nous croisons des immigrés, par exemple. Et pourtant, la plupart du temps, nous considérons que nous ne vivons pas avec eux, mais à côté d’eux. On reste en parallèle. Ils sont pourtant notre « prochain ». J’essaie de m’intéresser à mon « prochain ». Je découvre à chaque fois qu’il est pareil à moi avec ses grandeurs et ses bassesses.
AE: A plusieurs reprises, le narrateur s’adresse au lecteur sur le mode de la conversation (ex. « J‘expliquerai plus tard« ). Pour vous, le roman, c’est une conversation avec le lecteur?
Armel Job: Je me considère comme un raconteur. Je suis au service d’une histoire que j’essaie de livrer à mon lecteur. En somme, j’en suis le simple interprète. Ma personne à moi n’a aucune importance dans cette affaire. Il est naturel donc que je m’inquiète çà et là de mon lecteur, comme le ferait un conteur, interrogeant de temps à autre son public.
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