« S’intéresser à Marthe, c’est entrer dans la peinture, se soûler de peinture »
Quand le jeune peintre Pierre Bonnard pénètre la boutique du fleuriste Trousselier, il ignore – et l’ignorera quelque trente ans encore – que la jeune fille qui obsède son regard , assiège son coeur, ne s’appelle pas Marthe de Méligny. Elle n’a pas seize ans – en compte huit de plus – n’est ni orpheline ni dépourvue de famille.
Pierre Bonnard a 26 ans. Solitaire et réservé, il a trouvé en Marthe – as Maria Boursin – et son corps de rêve, la nue de son oeuvre, la compagne de sa vie. Peu importe qu’il ne la présente à sa famille, qu’il ignore tout de son passé, qu’il prenne pour monnaie comptante son identité fantaisiste.
Interpellée par cette saisissante imposture, Françosie Cloarec, écrivain, psychanalyste et peintre met à profit sa triple compétence et tente de percer le « Mystère Marthe Bonnard » : » Je cherche la Maria qu’elle a voulu taire dans les toiles, dans sa famille, dans les livres, dans les articles. «
Pour ce faire, Françoise Cloarec opère un travail de dépouillement d’archives, d’articles, … et de rencontres colossal, une enquête des plus minutieuse, qu’elle nous livre avec intégrité. Elle nous convie au coeur de sa démarche, proposant pistes et déductions pour ce qu’elles sont, sans céder à la tentation romanesque de combler les zones d’ombre par des assertions non vérifiées. Un travail d’introspection également, empreint de bienveillance, qui plutôt que confondre Marthe s’est donné pour mission de la comprendre, de mesurer son impact dans la vie et l’oeuvre du « peintre du bonheur ».
L’anti-conformisme de leur idylle libère d’emblée Pierre des pressions de son milieu. Grâce à Marthe, il peut oser cette liberté à laquelle il aspire de son être, de son art. « Nabi », membre de la Revue blanche, proche de mouvances liées à l’anarchisme, il ose aussi afficher l’érotisme de leur vie privée. Avec, en 1899, l’exposition chez Durand-Ruel d’un nu très audacieux de Marthe, Femme assoupie sur un lit également titré … L’Indolence Pierre Bonnard inaugure une riche série, exhibe la contribution majeure que sa compagne apportera à son art.
Un artiste qui est rarement satisfait de son travail et qui sans cesse le remet sur le métier, retouchant çà et là, détails, couleurs et perspectives.
Subtile et délicate radioscopie de l’intimité d’un couple et de son impact sur l’histoire de l’art, l’essai nous fait vivre, avec une remarquable acuité, le milieu dans lequel il gravite, l’atmosphère de l’époque, du marché de l’art et du procès-fleuve que valut la succession du grand peintre, décédé en 1947.
A découvrir de toute urgence.
De toute évidence
Apolline Elter
« L’indolente, – Le mystère Marthe Bonnard, Françoise Cloarec, essai, Ed. Stock, septembre 2016, 350 pp
Billet de ferveur
AE : Marthe offre à Pierre Bonnard cette liberté que son milieu ne lui permet pas. Elle lui offre son corps, sa nudité. Ce sont là éléments essentiels pour Bonnard, pour l’évolution de son art. Pouvons-nous en déduire que l’imposture d’âge, d’identité, qu’elle commet …relève plutôt du détail, de l’accessoire ?
Françoise Cloarec : Oui, vous avez bien vu, ces non-dits, ces vérités déguisées, très déguisées sont accessoires.
L’essentiel est ailleurs, je ne sais pas trop où, mais comme pour n’importe quel couple, ce qui lie deux personnes entre elles a des ressorts inconscients. Marthe et Pierre ont trouvé une entente, ils ne savent même peut-être pas eux même de quoi elle est faite. Mais ce qui nous réjouit c’est qu’elle s’exprime dans l’oeuvre.
Françoise Cloarec était invitée du Salon Ecrire L’Histoire (à Bruxelles) , samedi 19 novembre et d’un café littéraire joyeux et généreux que j’eus lle privilège d’animer
Françoise, soyez-en dûment remerciée
Reportage-photos sur le site Facebook du club de l’Histoire – Patrick Weber dont sont extraites ces deux photos
©: https://www.facebook.com/pg/leclubdelhistoire/photos/?tab=album&album_id=1010814665712604
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