Avec un titre Lewis Carollien et la découpe d’un engrenage en guise de jaquette, la très belle monographie que publie Thierry Bellefroid en cette fin d’année est un hommage à l’oeuvre – colossale – de François Schuiten, célèbre et belge dessinateur, scénographe, designer urbain, de 10 ans son aîné.
L’ouvrage Filiation Schuiten, (Philippe Marion) paru en 2010 aux éditions Versant Sud ( chronique sur ce blog: http://editionsdelermitage.skynetblogs.be/archive/2010/02/19/schuiten-filiation.html) avait insisté sur le rôle de Robert Schuiten, puissant patriarche, dans la formation artistique de sa nombreuse progéniture; celui de Thierry Bellefroid , exhaustif, illustre d’innombrables planches et dessins, le parcours d’une oeuvre riche et en mouvement, d’un univers protéiforme.
De ses douze ans date la rencontre de François Schuiten avec Benoît Peeters et le début d’une amitié profonde, jamais démentie. Elèves du collège Don Bosco, ils créent Go, un journal , dont le ton ne plaira guère à la direction..
» Et puis, il y a le coup de poker »
Présentées au magazine bruxellois Pilote, cinq planches de l’ado de 16 ans, conquièrent la direction et sont publiées sous le titre « Mutation« . Réalisées entièrement au stylo bille – une planche est reproduite p 21 – elles permettent au jeune homme d’affronter l’autorité paternelle avec un zeste utile de confiance en soi.
La rencontre avec Claude Renard, professeur de la section BD à Saint-Luc sera aussi décisive dans la genèse de son art que celle de Camus et de Jean Grenier, et débouche rapidement sur un travail à quatre mains.
Si la tentative première de collaboration adulte avec son ami Benoît Peeters tourne court ( Le 9e rêve) , elle est rapidement compensée par la publication conjointe des Murailles de Samaris (publié en album en 1983, après une prépublication dans le magazine A suivre, n°s 53 à 56) chef d’oeuvre d’hommage à l’Art Nouveau.
Elle sera suivie des célèbres Cités obscures, La Fièvre d’Urbicande, La Tour, L’Archiviste, La route d’Armilia, …., de conférences-fictions, de la production de récits sonores, Brüsel – « pierre angulaire de l’engagement de François Schuiten en faveur de sa ville » et source du documentaire-fiction Le Dossier B, réalisé par la RTBF- L’écho des cités, L’enfant penchée – « l’album préféré » de ses auteurs – Le guide des cités, l’ombre d’un homme, La frontière invisible, la théorie du grain de sable, Souvenirs de l’Eternel présent, … témoins de cette « vision d’une étonnante limpidité » que traduit le duo et d’une collaboration qui dure depuis plus de trente ans.
« Peeters et Schuiten sont des organismes vivants, au sens qu’ils sont « au monde » pour le recracher dans la fiction.«
Tout aussi passionnante – j’oserais dire hallucinante – est la partie de ce somptueux ouvrage consacrée aux scénographies de l’artiste. Des réalisations grandioses qui de l’opéra, du Théâtre d’Angoulême à l’exposition du Transsibérien donnent la mesure du génie schuitenien et de son indéfectible fidélité en amitié (Benoît Peeters, Claude Renard, Marie- Françoise Plissart..)
Inédits, planches de projets avortés, timbres postaux, fresques urbaines, métropolitaines, pavillonnaires (pour trois Expositions universelles) et hotelières , vitraux, scénographie de la Maison Autrique, à Bruxelles, de la Maison Jules Verne à Amiens, Mur lumineux de Lyon, dentelle stellaire de Lille, utopies, … laissent le lecteur pantois, à la découverte d’ une production à ce point gigantesque.
Son oeuvre impressionnante n’empêche François Schuiten de nourrir de nouveaux projets, tel ce musée des Chemins de fer belges, Train Word, à la réalisation duquel il s’attelle désormais.
» A 57 ans, Schuiten a encore faim. D’expériences. Et d’excellence. »
Il fallait la passion experte de Thierry Bellefroid et son abyssale connaissance du domaine pour donner au génie de François Schuiten – du demeurant simple et avenant – ses pleines lettres de noblesse
C’est chose faite.
Il faut saluer la parution de cette monographie comme un événement majeur de l’année 2013
L’offrir, se le faire offrir. C’en est presque un devoir citoyen.
Apolline Elter
François Schuiten, L’horloger du rêve, par Thierry Bellefroid, beau livre, éd. Casterman, nov. 2013, 400pp, 59 €
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