Petit délice de la rentrée littéraire
De l’année dernière…
«Vous avez, mettons, une trentaine d’années. Cela fait environ trois cent mille heures que vous apprenez à vous connaître, en comptant le temps de sommeil qui n’a guère moins de raisons fournir des informations sur la personne du dormeur que les instants de veille. Ainsi, vous possédez de vous-même une certaine idée, fondée sur une pratique quotidienne, des habitudes, une manière d’éprouver les émotions, de telle sorte que vous êtes non pas bien dans votre tête – il n’y a que les magazines de salles d’attente pour aspirer à de tels sommets -, mais comme à la maison dans votre crâne. Et voici que vous êtes contrainte d’en changer. De vous extraire de votre abri le plus intime pour élire domicile ailleurs, dans la tête de Bérénice Beaurivage, dont vous ne savez rien sinon qu’ elle paraissait, I’ écran, une femme que cela la peine d’être, avec une vie facile, un bel amant, beaucoup d’argent. »
Le ton est donné, le propos campé: « Mademoiselle », mi- héroïne, mi-narratrice vit de chômage (plus guère…), de petits larcins (vestimentaires) et d’imposture (en plein) : elle sillonne les villes portuaires: Le Havre, Saint-Nazaire et Marseille, accrochée aux basques et au portefeuille d’un séduisant ingénieur, inspecteur des chantiers navals.
Décidée à faire table rase d’un passé – qui ne nous est guère révélé – et d’un monceau de dettes – dont elle est criblée – « Mademoiselle » décide de se refaire un nom – Bérénice Beaurivage – partant, une nouvelle et personnalité: auto-promue romancière, elle joue avec ce faux air d’Ariane Dombasle dont la nature l’a gâtée, entre autres avantages. Le vernis conjoint du mystère et de la séduction résistera-t-il à la confrontation avec Blandine Lenoir, la journaliste, amie de l’Inspecteur…
Incisif, factuel – avec ses descriptions qui ont une précision verbale digne d’un entomologiste – ce court roman sort des sentiers battus de l’actuelle littérature. Il concourt, avec 44 autres, à l’attribution du prix Horizon – prix du deuxième roman.
Et mérite à ce prix, toute notre attention.
Un auteur qui a un vrai potentiel
Apolline Elter
Le triangle d’hiver, Julia Deck, roman, Les éditions de Minuit, septembre 2014, 176 pp
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