« Appartenir. Le plus beau mot de la langue française, mais aussi celui qui me déconcerte le plus. »
On peut se demander ce qui a suscité, dans le chef de Manuel Carcassonne, le médiatique patron des éditions Stock, ce retour aux sources les plus lointaines de son existence, ce bilan- libérateur (?) – d’appartenance qui tente d’ouvrir la voie d’une vie apaisée
Sa « vraie-fausse tentative de suicide » du 7décembre 2013 ?
La rencontre avec Nour – « dont le prénom signifie lumière en arabe » – as Diane Mazloum, Arabe chrétienne du Liban, leur mariage, la naissance d’Hadrien, son quatrième enfant?
La menace de ne pas dépasser l’âge de 59 ans, victime d’une malédiction psychogénéalogique larvée ?
Le choc de l’explosion du 4 août 2020, à Beyrouth, qui épargna miraculeusement Nour et « Hadri », dans le fracas de leur appartement?
L’élément déclencheur est sans doute multiple et va convier l’écrivain aux racines de la judéité, celles de ses familles, maternelle et paternelle, affermissant, de cet ancrage diantrement documenté, son approche, sa compréhension de l’Orient. Un Orient complexe incarné par Nour et de nombreuses et toniques discussions au sein du couple.
Ce faisant Manuel Carcassonne opère un bilan lucide, courageux des années d’enfance, de jeunesse, sa carrière d’éditeur, … qui l’ont constitué, décochant au passage un vrai hommage à Jean d’Ormesson qui fut quinze ans durant, son beau-père, grand-père de Marie-Sarah, sa fille aînée.
Il se pose de justes questions:
« De quoi suis-je l’héritier malgré moi ? Et quel tissage mémoriel reprend soudain, avec la naissance d’un fils baptisé à l’eau claire »
Balise la vocation de son récit:
« Ce livre ne porte pas sur l’antisémitisme. Il existe. Et alors ? C’est un fait historique, né d’une longue tradition de l’antijudaïsme chrétien. À vrai dire : je m’en fous. Ce qui m’importe, c’est de renouer avec la joie du texte, la séparation d’avec le monde incroyant, de susciter le même et l’autre, en moi. Susciter, ressusciter. »
Définit sa quête existentielle
(…) je voulais être tous les autres, et pas le seul « moi » dont je disposais,
Et conclut, magistral, cette déclaration d’amour à Nour, « soeur incestueuse » qui sous-tend le récit
« J’étais désorienté : elle m’avait donné l’Orient. »
Apolline Elter
Le Retournement, Manuel Carcassonne, récit, Ed. Grasset, janvier 2022, 320 pp