» Ils ne m’entendaient pas, ne me voyaient pas. Je n’étais pour eux qu’un simple prolongement de l’aspirateur, la même mécanique, tout juste agrémentée d’une blouse et de gants en plastique. »
C’est à une vraie démarche journalistique que Florence Aubenas – grand reporter au Nouvel Observateur – se livre: explorer, sur le terrain, la précarité des emplois peu qualifiés.
Teinte en blonde, le regard dissimulé par le port permanent de lunettes, l’ex-otage ravie, en 2005, lors d’un reportage en Irak, s’installe à Caen, en février 2009 et parvient, curieusement, à garder l’anonymat: elle plaidera, aux rares personnes qui penseront la reconnaître, la coïncidence de l’homonymie.
Son âge avancé – 48 ans, en 2009 – et un CV rendu vierge de toute expérience professionnelle la classeront, auprès des agences « Pôle emploi » dans la catégorie des « Hauts risques statistiques ». Le seul débouché envisageable impose une formation d’agent d’entretien et la disposition inéluctable d’une voiture.
Un récit de galère, celle des emplois précaires, des horaires, du rythme de travail et de quelques scandaleux faits d’exploitation s’entame, qui décrit finement les relations humaines qui se tissent à tous les niveaux. L’écriture de Florence Aubenas allie la précision journalistique et le rythme alerte à quelques traits d’humour bienvenus.
L’expérience se conclura, en juillet 2009, lorsque Florence Aubenas décrochera le CDI qu’elle s’était fixé comme enjeu:
« Parmi les règles que je m’étais fixées, il y avait celle d’arrêter cette expérience dès qu’on me proposerait un contrat de travail définitif. Je ne voulais pas bloquer un emploi réel. »
Apolline Elter
Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas, éd. de l’Olivier, fév. 2010, 276 pp, 19 €
Bonjour Apolline,
Il y a quelque temps,j’ai entendu Florence Aubenas parler de son expérience « d’invisible » à la radio.
Malheureusement je ne prends plus le temps de lire les romans mais ses paroles m’ont fortement impressionnée et puis elle y parlait de la réalité. Le lendemain j’ai acheté son quai de ouistiti. Je l’ai lu quasiment d’une traite.
L’écriture est souple, bien balancée mais c’est bien sûr le contenu qui vous prend à la gorge.
Florence Aubenas nous parle avec tant d’humanité et d’empathie de ces nouveaux esclaves, elle nous raconte avec tant de justesse leur courage pour s’en sortir ou se soutenir entre eux, à travers elle(corps et âme!)… qu’en fermant le livre vous vous sentez directement interpellé.
Voilà, en fait c’était le coup de coeur (plutôt le coup de fouet) que je voulais vous transmettre.
Quel superbe coup de coeur et comme vous l’exprimez finement.
Merci MH!!
Apolline