« Grâce à une modeste pistache, l’humanité a appris à entendre les histoires des végétaux, celles de leur passé comme celles de leurs devenirs »
Il est sûr que vous ne dégusterez plus les pistaches de même insouciance, quand vous aurez lu – écouté – le récit allègre des relations entre les mondes végétal, animal et humain depuis la nuit des temps.
Quand vous découvrirez, pour le dire autrement, la succession de découvertes et de hasards qui a permis aux aliments d’échoir dans vos assiettes, de ravir vos papilles.
Croyez-moi, croyez Bill François, rien n’était gagné: chocolat et cucurbitacées eussent dû disparaître de nos radars, déserter nos palais voici quelque quinze mille années
Ils se sont, depuis, (ré) conciliés, invitant à leur buffet un être humain quelque peu invasif
Structurés selon la séquence d’un menu, de l’apéritif au café – Arabica – conclusif, les chapitres prennent prétexte des mets pour en tracer l’infinie généalogie; savoureuses anecdotes à l’appui
C’est ainsi que le lecteur apprend que la tomate revêtait des allures de poison avant d’envahir de multiples préparations, que nos papilles, non satisfaites des seules saveurs salées, sucrées, amères et acides, perçoivent également une cinquième et exquise saveur dénommée « l’umami ». Que nous devons fières chandelles à Catherine de Médicis(1519-1589), reine de France et au zoologiste anglais Frank Buckland (1826-1880) qui ont, chacun à sa façon, élargi la variété de notre alimentation. Sans oublier Louis Pasteur (1822-1895) et son précieux apport en matière de chiralité moléculaire.
Biophysicien; nanti d’une plume virevoltante, d’une culture impressionnante et d’un humour à tout crin, l’essayiste est tout frais trentenaire: l’assiette m’en tombe des mains.
D’autant qu’il a relevé le défi de lire son texte lui-même pour la version audiolivresque et qu’il le fait très bien
Un festin à déguster sans modération, assorti d’une nécessaire visite au vénérable pistachier du Jardin des Plantes (Paris Ve)
Apolline Elter
Le plus grande menu du monde, Histoires naturelles dans nos assiettes, Bill François, essai, Ed Fayard, 2023- Pocket, mars 2023 – Ed Audiolib avril 2024 – texte intégral lu par l’auteur, durée d’écoute 6h 01 min
Entretien
AE : Notre alimentation contemporaine est donc le fruit de bienheureux hasards mais aussi d’un ecosystème que nous fragilisons en nous attaquant à des espèces dites « nuisibles »
Bill François :On a tendance à l’oublier, mais toutes les plantes et animaux que l’on retrouve dans nos assiettes sont des espèces qui viennent, à l’origine, d’écosystèmes naturels. D’où l’importance de préserver la biodiversité des milieux sauvages, où se cachent sans doute certains aliments de demain. Qui sait si ce n’est pas quelque plante cachée dans un désert lointain, ou quelque algue des fonds marins, qui nous domestiquera demain, nous aidant à faire face à des conditions climatiques de plus en plus extrêmes ?
A part le poisson et le gibier, dont on consomme les formes sauvages, les espèces aujourd’hui présentes dans nos assiettes ont une histoire naturelle mais aussi une histoire humaine, qui sont deux étapes de leur évolution. Au fil des générations, nos ancêtres ont transformé plantes et animaux en les sélectionnant. Cette biodiversité-là, la biodiversité domestique, est aussi menacée (par l’uniformisation de l’alimentation), et il est important de la préserver.
Lors de la domestication, la sélection ne s’est pas faite à sens unique ; nous avons été aussi transformés par les créatures que nous consommons, dans nos cultures comme dans nos gènes. Il en résulte une grande diversité des races domestiques de plantes et d’animaux, qui s’est construite au fil de l’histoire et des géographies humaines.
AE : Vous comparez la pâtisserie à la Genèse de la Terre, la confection d’un gâteau à la formation des roches et des montagnes :
Bill François : La cuisine est un formidable laboratoire pour comprendre certains phénomènes de physique et de chimie qui façonnent le monde qui nous entoure. En particulier la pâtisserie, où l’on façonne des produits bruts, en faisant des changements d’état, des cristallisations, des émulsions…Certains phénomènes découlent de lois très générales : c’est la beauté de la Physique, elle contient des règles cachées qui s’appliquent à tout l’univers. D’autres sont encore incompris ; il y a beaucoup de mystères scientifiques autour de la cuisine, et plein de gestes que les cuisiniers font quotidiennement, comme filer du sucre, sont en fait incompris par la science (nul ne sait exactement pourquoi ni comment le sucre forme alors un « verre » désordonné mais néanmoins solide). La pâtisserie est un peu un monde miniature.
Tous les processus conduisant à la confection d’un gâteau au chocolat, par exemple, sont analogues à ceux impliqués dans la formation de notre planète Terre !
AE : une lecture audiolivresque opérée par l’auteur d’un texte révèle souvent mieux les intentions d’écriture, les effets voulus. Avez-vous songé en écrivant l’essai à son adaptation orale ?
Bill Francois :Pas du tout ! Quand j’écris, je pense toujours à l’oralité du texte dans ma tête, mais l’idée d’une adaptation en audiolivre ne m’avait pas effleuré l’esprit. Et je n’imaginais pas à quel point lire à haute voix son propre texte donne dessus un point de vue différent de celui qu’offre la lecture sans parler.
J’ai même repéré ainsi quelques fautes d’orthographe qui avaient échappé à tous les relecteurs.
En réalisant la lecture de l’audiolivre, j’ai pris la liberté d’ajouter quelques mots de temps à autres, pour adapter encore plus le texte à l’oralité. Cela reste des changements mineurs, mais si j’avais lu à voix haute mon manuscrit au moment où je le relisais avant publication, j’aurais sans doute écrit certains passages bien différemment. Mais auraient-ils alors été meilleurs ou moins bons … je n’en sais rien. Et pour mon prochain livre, que je suis en train d’écrire, je me demande si je le lirai à voix haute ou non au moment des relectures, car ce sont je pense deux approches bien différentes, qui donnent une couleur très distincte à l’écriture !