Le maître de café

url (51).jpgC’est une ode au café – et quel café! – c’est aussi un magnifique roman. Un roman qui renoue avec ce que la littérature a de plus noble, offre une écriture soignée, dense, subtile et raffinée… maniant l’épique et l’humour à coup de dosettes savamment distillées.

Vous l’aurez compris, j’ai succombé au charme très XIXe siècle de l’épopée: Flaubert a trouvé frère de plume.

 » Qu’est-ce qu’une vie? La mienne logeait tout entière dans l’arrondi d’une tasse. Mon nom était écrit sur cette eau noire. »

Rassemblée au chevet de Massimo Pietrangeli, le Maître de café, la famille s’apprête à épauler ses  derniers instants. C’est compter sans les  effluves d’une tasse de café, qui sortent le vieillard du coma…

 Comme il sent que les temps lui sont désormais aussi comptés que les grains de café précieux dont il dote sa cassette, le chevalier, torréfacteur de génie – le seul habilité à fournir le café quotidien du Président italien  – emmène sa famille quérir, au Costa Rica,  les fèves dont il a le secret.

Voyage initiatique, transmission de patrimoine, testament,  épopée burlesque,  éloge d’une boisson sensuelle, sexuée,  divine et des rituels qu’elle exige, … le conte  tient de tout cela à la fois. Observateur externe d’un microcosme régi de lois singulières, le narrateur allie un sens aigu de la description à une tendresse amusée pour chacun des protagonistes.

 Mais le café est avant tout et surtout ferment de convivialité et dévoile, dans l’oracle de son marc, ce que les liens familiaux ont de plus sacré.

Une lecture hautement recommandée

Apolline Elter

Le Maître de café, Olivier Bleys, roman, Albin Michel, janvier 2013, 350 pp, 20 €

 

NDLR : le roman a obtenu le grand prix de la SGDL (Société Générale des Lettres)
Remise du prix le mardi 25 juin, à l’Hôtel de Massa.

Billet de …saveur

AE :  Sous votre plume, Olivier Bleys, le café  se fait art (et or)  décline des lettres de haute noblesse. Etes-vous accro à la boisson ?

Olivier Bleys : en vérité, j’ai commencé à boire du café très tard, pas avant trente ans. Longtemps, j’ai été buveur de thé. J’aimais l’odeur du café, sa culture, ses couleurs, l’atmosphère des brûleries, mais je n’avais jamais pu en avaler une goutte. C’est au Brésil, dans un restaurant du Nordeste, que mon initiation a eu lieu. Une tasse m’a été servie, à l’arôme incomparable. Je l’ai savourée les yeux fermés, puis j’en ai commandé une autre, une troisième… J’étais converti. Depuis, je suis devenu grand buveur de café, quoique piètre connaisseur. Pour écrire ce roman, je me suis équipé d’un matériel semi-professionnel, avec une authentique machine espresso italienne (une Bezzera 07), un moulin à meules, une balance de précision pour peser la mouture du café… Boire du café est devenu un plaisir, et un rite nécessaire avant d’entamer un travail quelconque.

AE :: Le  café semble affaire d’hommes ;  le thé aurait-il une connotation plus féminine ?

Olivier Bleys : j’en suis persuadé, et m’étonne que ce fait ne soit pas relevé plus souvent. Il me semble, d’ailleurs, ne l’avoir lu nulle part… que dans mes propres pages ! Cependant, il m’est difficile d’expliquer en quoi, pour moi, le thé est féminin et le café masculin ? Cela mériterait une étude approfondie, une investigation poussée des modes de préparation et de consommation de ces deux boissons, et de leur portée symbolique. En deux mots, le partage se fait sur certains caractères le plus souvent associés à l’une et l’autre boisson. Le thé : douceur, détente voire nonchalance, contemplation, rêve, transparence, délicatesse, Asie, spiritualité, intériorité… Le café : force, dynamisme, activité, réalité, Afrique, extériorité. Il s’agit de lieux communs, mais y échappons-nous ?

AE : Parmi les protagonistes de ce roman savoureux, il y a « La Storta »,  machine à café monstrueuse et rocambolesque à la fois.  Sans elle, le  fameux café de Massimo n’existerait pas, la caravane, en route vers le Costa Rica n’aurait pas de raison d’être. C’est très «  XIXe » , cette façon de personnifier des monstres sacrés ( songeons à Zola  et sa Bête humaine  et son grand-magasin, Au Bonheur des dames, …) Avez-vous une sensibilité particulière pour les écrivains de l’époque ?

Olivier Bleys : je les ai souvent rencontrés à travers mes lectures, et les hommages plus ou moins appuyés que leur rendent mes écrits. En 2002, j’ai publié chez Gallimard Le fantôme de la Tour Eiffel (prix du roman historique de Blois), construit en m’inspirant des feuilletons de la Belle Epoque. J’ai également scénarisé une trilogie en bandes dessinées, Chambres noires (Ed. Vents d’Ouest, jusqu’en 2011), dont l’intrigue se déroule à Paris en 1872. Enfin, j’ai livré deux feuilletons radiophoniques, Quand les tables tournaient et Une querelle aérienne, diffusés respectivement sur France Culture et France Inter, qui traitent de la même époque. Oui, j’ai un attachement particulier pour la fin du XIX e siècle, et me reconnais dans ces romanciers naturalistes qui bâtissaient des histoires bien charpentées à partir d’une riche documentation. Cependant, ils avaient plus de chance que nous, écrivains de la modernité — car l’écrit n’a plus la place ni le rang qu’il possédait de leur temps.

AE :  En quoi consiste votre madeleine proustienne. A-t-elle rapport avec le café ?

Olivier Bleys : je pâtis d’une assez mauvaise mémoire, que compensent une curiosité de tous les instants et une faculté d’émerveillement héritée de l’enfance. Donc, il est rare que quoi que ce soit m’évoque le passé. La nostalgie a peu de prises sur moi, à moins qu’elle emprunte une guirlande lumineuse de Noël, certaines odeurs tourbeuses de montagne, la saveur du beignet très gras qu’on vendait naguère sur les plages, la tiédeur du printemps revenu. Quant au café, il n’en est jamais porteur, pour la raison bien simple qu’il est entré tard dans ma vie.