« Tout était fini (…) Honteusement, il avait la bonne sensation d’avoir tout juste refermé une porte sur une pièce pleine de bruit.«
Décidément, rien ne va plus dans la vie d’Attila Kiss. Séparé d’Alma, qu’il trompait d’une liaison et progéniture parallèles, mis au chômage par la raison corollaire qu’il travaillait pour Bêla, son beau-père, le quinquagénaire Hongrois regagne sa ville natale de Budapest et se fait engager pour un travail nocturne de tri de poussins.
Débarque dans sa vie, dans son lit, Theodora Babbenberg, « fille unique d’un des plus grands chanteurs de l’opéra de Vienne. » La relation prend d’emblée le tour d’une mutuelle fascination.
» Je savais exactement quatre choses sur toi, la peinture, les poussins, la solitude et la texture de ta peau, c’était très peu, c’était minuscule, mais l’amour est la forme la plus haute de la curiosité et je suis tombée amoureuse de toi. «
Nourrie d’amour et de boîtes de conserve, leur relation se tisse, incongrue, au fil d’une sublime narration.- Il y a de l’Alice Ferney » (L’élégance des veuves, Grâce et dénuement, ...) dans l’écriture de Julia Kerninon- qui aspire le lecteur, bienheureux, d’un souffle chaleureux, phrasé mélodique, dentelé d’énumérations…
Et puis, surgit la répulsion. Surgit la haine atavique du Hongrois pour l »Autrichienne ». Surgit l’Histoire, effroyable rempart à cet amour naissant.
» La vérité, sans doute, était qu’Attila trouvait presque une forme de réconfort dans le fait de pouvoir la considérer comme une coupable. En la maintenant, en étant injuste, il se consolait de la fragilité de sa propre position. »
Et la différence de fortune:
» La richesse de Théo lui offrait à lui le rôle de l’oppressé, il disposait au minimum de la supériorité du blessé sur elle, la puissance paradoxale de la victime, puisqu’il n’en avait aucune autre. «
Subtile analyse des rapports de domination dans le couple, le roman de Julia Kerninon a obtenu le prix 2016 de la Closerie des Lilas. Gageons qu’il n’en restera pas là .
Une lecture fa-bu-leuse
Apolline Elter
Le dernier amour d’Attila Kiss, Julia Kerninon, roman Ed. Du Rouergue, janvier 2016, 126 Po
Billet de ferveur
AE : L’écriture de ce roman vous a été inspirée , je crois, par un séjour en Hongrie, JVous stigmatisez, au sein d’un couple en devenir, la haine atavique que la Hongrie nourrit pour l’Autriche.? Est-elle encore palpable de nos jours?
Julia Kerninon : J’ai effectivement vécu en Hongrie l’année de mes 20 ans, ainsi que six autres mois lorsque j’avais 25 ans. Cependant, je ne parle pas magyar, et d’ailleurs, si j’avais choisi cette destination, c’était précisément pour m’isoler afin d’écrire. Je ne peux donc en aucun cas prétendre savoir exactement quel est le sentiment du peuple hongrois vis-à-vis de l’Autriche. Mais je suis romancière, et non historienne. Pour écrire ce livre, j’ai puisé à mes souvenirs, mes intuitions, j’ai aussi lu beaucoup de livres sur la Hongrie, et j’ai ensuite extrait de cette matière ce qui semblait « romançable », ce qui était déjà, intrinsèquement, poétique. Mon roman est donc une lecture parmi d’autres possibles de ce qui s’est passé et se passe entre l’Autriche et la Hongrie. Pour moi, en réalité, c’est aussi une lecture de ce qui se passe partout dans le monde entre les riches et les pauvres, les vainqueurs et les vaincus – nous autres Occidentaux cherchant à fermer nos frontières et nos portes aux réfugiés qui affluent, comme si nous étions pour rien dans ce qui leur arrive.
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