« Nous sommes une dizaine, dans cette pension décrépie au bord de la mer, tous originaires d’endroits différents, tous dans l’attente. Peut-être va-t-on nous garder, peut-être va-t-on nous renvoyer. Nous avons déjà pris nos décisions, le reste ne dépend plus de nous. Quelle route emprunter, à qui se fier, asséner ou non le dernier coup de batte pour tuer un homme?
Ces choses appartiennent au passé. Elles ne tarderont pas à s’évaporer, comme la rivière. »
Tel est l’état d’esprit de Nuri Ibrahim « l’apiculteur d’Alep », le narrateur, échoué en Grande-Bretagne avec son épouse Afra, anéanti par la guerre et la mort de leur bambin, Sami.
Devenue aveugle, Afra végète, déprime, dépérit.
Et Nuri de convoquer en son esprit les images heureuses de sa ville d’Alep et de ces ruches qu’il entretenait avec son cousin Mustafa, professeur à l’Université de Damas
Il paraît que ce dernier vit également au Royaume-Uni. L’enjeu du roman sera de l’y retrouver, de rendre espoir et peut-être vie et vue à Afra, artiste-peintre en sa vie d’antan.
Dans le confinement de leur chambrée, Nuri prépare le récit de leur drame qui décidera les autorités britanniques à accorder asile au couple, au terme d’un entretien programmé.
Si la trame – certes belle – n’offre pas de réelle surprise narrative, elle use en revanche d’un procédé assez inédit dans la transition de certains chapitres: utilisant le dernier mot de l’un comme premier mot du suivant, la narration défile alors telle une grande chaîne de maillons solidaires.:
♫ Si tous les gars du monde (…) marchaient la main dans la main ( Les compagnons de la chanson) ..
Si le récit de Nuri est fictionnel, il est alimenté par les témoignages recueillis par l’auteure, bénévole dans un camp de migrants à Athènes, lors de l’été 2016. Nous lui laissons le mot de la fin:
« L’Apiculteur d’Alepest une œuvre de fiction. Néanmoins Nuri et Afra se sont développés dans mon cœur et mon esprit à cause de tout ce que j’ai appris aux côtés des enfants et des familles de réfugiés en Grèce. l’ai écrit cette histoire pour essayer de montrer ce qui se passe entre les gens qui s’aiment, quand ils ont tout perdu. Il est question de deuil et de perte, mais c’est aussi un livre SUr l’amour et sur la manière de trouver la lumière. C’est ce que j’ai vu, entendu et ressenti dans les rues et les camps d’Athènes.
Christy Lefteri »
L’Apiculteur d’Alep,; Christy Lefteri, roman traduit de l’anglais par Karine Lalechère, Ed. Seuil, mars 2020, 320 pp