» J‘ai ouvert une vieille valise à laquelle je n’avais pas touché depuis plus de cinquante ans. Je l’avais bouclée en déménageant ici rue des Saints-Pères avec Joris, en me promettant sûrement de faire le tri, ce que je n’ai jamais fait. »
Frappée d’une brusque cécité, puis de la récupération d’une – faible – partie de sa vision, l’époustouflante nonagénaire ouvre la valise de son passé. Un passé marqué, à quinze ans, par sa déportation aux camps d’Auschwitz-Birkenau, Bergen-Belsen et Theresienstadt, d’où elle sera libérée le 10 mai 1945.
Nous avions découvert, avec émotion, la lettre qu’elle adressait à son père, Et tu n’es pas revenu, déjà aidée, en sa relation des faits, par la merveilleuse Judith Perrignon (Ed Grasset, 2015 – voir chronique sur ce blog) qui n’ayant » pris que ses mots a permis à [ses] amis de [la] retrouver » s’émerveille Marceline Loridan-Ivens, lors d’une interview radiophonique diffusée le 10 février passé (nous n’avons pas noté la chaîne ni le nom de son interlocuteur et le prions de nous en excuser)
L’amie de Simone Veil – elle fit partie du même convoi – visite à notre intention cette valise d’Amour, y découvrant lettres et quelques pans de son passé qu’elle avait totalement oubliés.
« C’est là que surgit l’amour, puisqu’il faut bien qu’on en parle, là que commence le ballet des hommes qui a chassé le nom de mon père de mon état civil »
Née Rozenberg, le 19 mars 1928, Marceline cherche -sans doute – dans le regard des hommes qu’elle côtoie, à son retour des camps, ‘la certitude d’être vivante« . Elle épouse « très vite, trop vite » Francis Loridan, un ingénieur de (re) constructions mais ce mariage d‘huile et de feu se réduit à une relation à dominante épistolaire – on songe à celui d’Alexandra David-Néel – dont elle garde le patronyme avant de rencontrer l’homme de sa vie, Joris Ivens, de 30 ans son aîné, celui avec qui « tout s’est mis en place naturellement. »
Réduite à un simple matricule par la cruauté nazie et les dégradations corollaires, la jeune fille en conserve un rapport perverti à son corps, à la sexualité, à l’amour. Il la sépare irrémédiablement de ceux qui n’ont pas vécu cette expérience.Elle ne trouvera jamais la paix car elle aura « toujours un camp dans sa tête » (ITW 10 février)
Soucieuse que son récit perdure au-delà de sa vie, en un monde qui n’a fait que semblant de tirer les leçons de l’holocaute, Marceline Loridan-Ivens nous offre un témoignage inestimable, frappé de sobriété, de phrases courtes, de sentences fortes, percutantes.
Une sur-vie riche de vérité, de transmission, d’émotion.
Une lecture absolument recommandée
Apolline Elter
L’amour après, Marceline Loridan-Ivens, avec Judith Perrignon, récit, Ed. Grasset, janvier 2018, 160 p
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