Il n’est jamais aisé de rejoindre la scène littéraire après le succès considérable d’un premier roman… Cette dernière vous guette, vous attend au tournant.
Ce défi, Jean-Michel Guenassia le relève brillamment, prouvant que l’encre du conteur nourrit son sang.
L’argument de cette nouvelle fiction :
Né en 1910, à Prague, Joseph Kaplan est issu d’une lignée de médecins. Brillant élément, il débarque à Paris, afin d’y compléter sa formation, d’une spécialisation en biologie. « Avec ses traits fins, sa cambrure fière, sa mèche au vent, Joseph ressemblait à un de ces jeunes seigneurs florentins au sourire limpide de Ghirlandaio » Un seigneur qui danse comme un dieu, accumule les conquêtes féminines, rejoint, à 28 ans, l’Institut Pasteur d’Alger, pour effectuer des recherches sur les maladies infectieuses. L’occasion – fortuite – pour ce Tchèque d’origine juive d’échapper aux persécutions nazies et aux débuts d’une guerre dont les Algérois ne réalisent pas l’ampleur.
De retour à Prague avec Christine, la femme de sa vie, Joseph fonde famille. Helena naît en 1948, suivie, en 1950, de Martin, qui scellent le naufrage du couple. Naufrage aussi de ses convictions politiques, de l’adhésion sans faille que Joseph voue au parti communiste: « Il ne voulait plus dissimuler ses opinions et soutenir qu’ils vivaient dans une démocratie parfaite, que tous les problèmes étaient en passe d’être résolus quand la situation n’avait jamais été pire. Il ne supportait plus l’optimisme gluant de ce catéchisme socialiste qui les ensevelissait dans une tombe collective. Intolérables aussi la foi obligatoire en un avenir radieux, l’interdiction d’émettre le moindre doute pour ne pas passer pour un traître et le devoir de s’extasier sur les réussites d’un régime dont il ne voyait que les échecs.
Mars 1966 voit confier au docteur Kaplan, une mission capitale: le salut d’un mystérieux malade, camarade uruguayen très mal en point, Ernesto G(uevara), pour ne pas le nommer. Le Ministère de l’Intérieur entoure ce service commandé d’un luxe de précautions inouï, confinant Joseph et sa proche famille au seul chevet du mourant.
Une cohabitation forcée qui imprime un angle neuf et …palpitant à la fiction, introduisant le mythique Che dont on sait qu’il séjourna à Prague, cette année-là:
» Je viens d’avoir trente-huit ans, j’ai consacré ma vie à me battre pour ces idées, à essayer de les faire triompher, j’espère sincèrement que ça se fera mais je ne prendrai plus un fusil pour ça, il y a d’autres chemins. Je ne suis pas certain d’avoir pris les bons. »
Et scelle le destin d’Helena et le bilan d’une vie que Joseph Kaplan poursuivra, centenaire, spectateur attentif du « Printemps de Prague », de sa répression et de la chute du régime communiste.
Une lecture… de rêve.
Je vous la recommande.
Apolline Elter
La vie rêvée d’Ernesto G., Jean-Michel Guenassia, roman, Albin Michel, août 2012, 538 pp, 22,9 €
Billet de faveur
AE : Jean-Michel Guenassia, vous avez l’âme d’un conteur. Un souffle chaud parcourt le récit qui donne envie de le dévorer d’une traite. La rédaction en a-t-elle, elle aussi, coulé de source ?
Jean-Michel Guenassia : Oh que non. La rédaction a été longue, et très laborieuse. Pas un paragraphe qui n’ait été réécrit dix fois (au moins). Surtout que mon objectif est la fluidité de la lecture et c’est difficile à obtenir.
AE : vous introduisez le personnage de Che Guevara, lui prêtant pensées, propos, quelques missives et revirements … Tel ce moment où le Che se compare à Joseph Kaplan : « Il ressemble à l’homme que j’aurais aimé être . Je crois que j’aurais fait un bon médecin aussi. J’aimais ça. J’étais proche des gens. J’aurais pu être utile. Et puis, le destin en a voulu autrement »
Ces propos sont-ils extraits de documents ou pure fiction ?
Jean-Michel Guenassia : Les propos de Guevara sont inventés. On ne connait aucun texte de lui équivalent. Par contre, je me suis inspiré de l’extraordinaire biographie de Pierre Kalfon (Points) et des différents textes que Régis Debray a écrit sur lui pour saisir ce personnage si complexe et intéressant
AE « Quand un révolutionnaire n’a pas la chance de mourir jeune, il finit obligatoirement dictateur et bourreau (…) A un moment, le courage consiste à s’arrêter et à passer à autre chose » affirme Ernesto G. N’est-ce pas précisément le revirement que Joseph Kaplan a réalisé ?
Jean-Michel Guenassia : L’idée surtout était d’opposer un héros anonyme (Joseph) et un héros malgré lui (Guevara) mais surtout Guevara va découvrir en Joseph l’homme qu’il aurait voulu être.
AE : Carlos Gardel [NDLR : « la voix du tango »] c’est votre madeleine de Proust musicale ?
Jean-Michel Guenassia : Pas vraiment mais pour ce roman j’ai beaucoup écouté Gardel et Piazolla (et beaucoup d’autres aussi j’écris en musique)
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