« La lettre donne à voir, à lire et à entendre des mots qui virevoltent et qui s’enflamment. Elle porte en elle la mémoire olfactive du parfum de son auteur, de celui de son encre et de son papier, la mémoire sensuelle de son écriture manuscrite, ou de sa signature, du chemin, des ondulations de ses verbes et de ses syllabes, la mémoire du son de sa plume ou des palpitations de son clavier. »
Vous l’avez compris: c’est un beau, un magistral ouvrage que publie Jean-Pierre Guéno, en cette fin 2010, soutenu dans cette entreprise par la Fondation de la Poste, le Musée des Lettres et des Manuscrits (Paris) et les magazine Plume, Le Monde Magazine, Notre temps, les Archives départementales de France et… son maquettiste hors pair, Jérôme Pecnard (La mémoire du Petit Prince, Les diamants de l’Histoire, …)
Cent cinq lettres, pour la plupart manuscrites, font revivre des périodes-clefs de l’Histoire – les guerres du XXe siècle notamment – et des destins individuels. Echelonnées sur cinq siècles, de 1519 à 2010, les lettres sont présentées selon un abécédaire thématique – amour, dénonciation, émotion, enfance, politique, posthume, révolte, tendresse…- et éclairées du contexte de leur écriture. Cette mise en perspective précieuse rend les scripteurs acteurs de la grande Histoire et constitue un intérêt majeur de l’ouvrage. Ce n’est pas le seul.
La séquence des pages permet ainsi aux lettres codée de Charles de Gaulle (évasion de la prison de Rosenberg en 1917) ou de Charles-Quint (1519), de cachet de Louis XIV (à l’encontre de Nicolas Fouquet), de « confessions » de Jean-Jacques Rousseau, de côtoyer les lettres d’amour, de tendresse, d’angoisse et .. hélas de dénonciation, de scripteurs inconnus au bataillon de l’Histoire. Certaines sont empreintes d’une émotion rendue encore plus palpable par la présentation du support : telle cette lettre en yiddish, jetée sur un bout de papier et du convoi 61 qui mène Liza à la mort (octobre 43). Révélatrices d’âme, les écritures transpercent le papier et le cadre de l’ouvrage, qui atteignent directement le lecteur en son cœur. Quand elles ne le troublent d’un juste étonnement, dévoilant l’écriture claire et soignée de Jacques Mesrine ou callligraphiée, écrite des ..pieds de l’artiste-peintre, César Ducornet.
Un ouvrage qui s’inscrit en lettres majeures dans la l’Histoire épistolaire.
Apolline Elter
La vie en toutes lettres. Ces paroles qui marquent votre existence, Jean-Pierre Guéno, (Mise en images Jérôme Pecnard), Plon (beaux livres), octobre 2010, 240 pages, 29,90 €
Billet de ferveur.
AE: Avec Les Diamants de l’Histoire (voir billet de faveur sur ce blog) et la publication, presque conjointe, de ces trésors épistolaires, vous affirmez haut et fort , Jean-Pierre Guéno, que ce sont aussi les destins individuels, souvent oubliés, qui constituent l’Histoire. Est-ce votre credo?
Jean-Pierre Guéno: Il est évident que l’histoire ne peut pas se résumer aux têtes d’affiche, aux stars et autres people qui ponctuent nos livres de classe : elle est avant tout l’œuvre de ses obscurs, de ces individus, de ces sans grade qui furent nos parents et nos ancêtres et qui méritent au minimum que nous ayons à leur égard la mémoire du cœur…
AE: La sélection de ces 105 lettres a généré, on s’en doute, un travail considérable. Outre les lettres d’archives mises à votre disposition, vous en avez reçu des milliers suite aux appels lancés par la Poste et dans la presse. Avez-vous contacté en direct les familles des auteurs des lettres retenues?
Jean-Pierre Guéno: C’est vital : sans les familles, je n’accéderais pas aux traces, aux manuscrits des lettres, aux photos qui viennent des albums de famille, aux petites histoires. Ainsi Denise, la fille de Clémentine , est la seule personne au monde qui puisse me raconter comment elle a retrouvé cette lettre de sa mère dans son sac à main après son décès. A pouvoir me confier la photo de sa maman, cette paysanne mère de famille nombreuse, morte trop jeune et dont le visage n’est qu’un appel à la tendresse. Quand on voit son portrait, si expressif en page 68 du livre, on voudrait la dorloter, la chérir. Elle devient une sorte de maman universelle.
AE: Allez-vous donner une suite – espérée!- à cet opus?
Jean-Pierre Guéno: La vie en toutes lettres continue sur le site consacré par La Poste à « l’émotion du courrier » http://www.emotionducourrier.fr/la-vie-en-toutes-lettres/ : une exposition exclusive, des lettres inédites, et de nouvelles lettres envoyées par les lecteurs du livre… On peut continuer à m’envoyer des lettres trésor sur ce site, ou encore par mail jpgueno@wanadoo.fr ou bien-sûr par la Poste en écrivant à La vie en toutes lettres BP 109 75363 Paris, Cedex 08
AE: Au-delà du contenu des lettres, l’écriture des scripteurs livre leur intimité. Vous évitez cependant l’interprétation graphologique. Etes-vous tenté par un tel éclairage?
Jean-Pierre Guéno : L’écriture manuscrite est toujours à mes yeux le sismographe de l’âme. Je suis un passeur d’histoire, d’histoires, de textes et d’émotions. La graphologie est un métier qui ne figure pas dans mes compétences. Je vais en ce qui me concerne chercher l’intime dans le sens des mots, dans cette jolie grammaire de la vie qu’ils tissent en se reproduisant. C’est peut-être à chaque lecteur de retrouver les clefs graphologiques des manuscrits que je lui livre !
AE: L’écran et le Web vont-ils impliquer la disparition du courrier traditionnel ?
Jean-Pierre Guéno: Pour La vie en toutes lettres, j’ai reçu 10000 lettres, dont 30% par courriel. 70% de ces lettres, tatouées sur une page blanche ou sur un écran, ont été écrites après 1900 dont la moitié depuis l’an 2000 ! Nous ne faisons que vivre la protohistoire d’une formidable synergie qui unira le pixel au papier. La lettre est bien vivante et sous toutes ses formes. Lettre courrier, lettre courriel : chacune apporte ce qui manque à l’autre. L’instantanéité et l’interactivité pour le courriel, le parfum de l’expéditrice et le temps de laisser reposer les mots avant lecture pour le courrier. Une lettre en papier est un objet. Plus le virtuel caractérisera nos messages et nos communications, et plus nous aurons besoin, par compensation, d’objets concrets, véhiculant ce que nos amis, nos amours ont d’unique : leur écriture, leur signature manuscrites, leurs empreintes digitales. Les objets sont un rempart matériel et symbolique contre la mort et contre sa part de néant. De tous les objets, c’est sans doute la lettre qui a le plus une âme, car elle n’est pas inanimée comme peut l’être un vase ou un chausse pied !
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