Faut-il franchir le miroir quand les reflets – temporairement – chagrins qu’il nous renvoie sont ceux d’un combat contre la maladie?
C’est le parcours que nous propose Lydia Flem, romancière, psychanalyste, peintre de l’âme et …photographe de génie.
« A quel millième de millième de seconde perle une goutte de trop, celle qui déborde d’un nous de cristal? (…) Se pouvait-il que de cette détresse naquît soudainement la prolifération de cellules anarchiques? «
Revisitant le mythique Alice de Lewis Carroll et ses découvertes au pays des merveilles, l’auteur dévoile avec pudeur, force symboles et de façon parfois codée, les étapes – balisées de six chimio et des séances de Lady Cobalt – qui mènent de la découverte d’un cancer à sa convalescence. La forme du conte allège la souffrance de certaines relations, les teintant d’humour et d’une subtile mise à distance.
« Lorsque vous avez traversé le miroir, lorsque vous avez basculé dans la maladie, lorsque vous êtes devenue tout à la fois pion et reine sur le damier des échecs, je vous ai offert une chambre obscure, vous l’avez baptisée l’Attrape-Lumière. Vous y avez puisé la puissance des images et de l’imagination. Maintenant, aux abords de la Forêt du Pas à Pas de la Convalescence, laissez-moi vous faire un deuxième don. Il ne s’agit pas, cette fois-ci, d’un objet, mais d’une idée, de phrases à méditer: « Le présent est le présent. Le présent est un cadeau permanent. »
Un parcours initiatique qui, sous le couvert d’une vaste partie d’échecs, intronisera Alice, la dame au turban, au rang de Reine.
Apolline Elter
La Reine Alice, Lydia Flem, roman, Le Seuil, 324 pp, 19,5 €
Prolongation de lecture
AE; Lydia Flem, La lecture, l’écriture, personnifiée par la Plume, sont des alliées de taille dans le combat contre la maladie, la solitude et la souffrance générées. La photographie, aussi : les photos qui concluent l’ouvrage sont de pure tradition « carrollienne », nourries d’insolite et d’une forte puissance évocatrice. La photographie a-t-elle, pour vous, des liens immédiats avec l’écriture?
Lydia Flem: Oui, en vérité, les 23 photos présentes dans le livre ont précédé l’écriture de celui-ci. Ce sont ces compositions qui ont donné naissance au roman. C’est une étrange aventure d’être passée de l’image vers l’écriture, comme si j’avais d’abord « écrit » mes photographies puis les avait transformées en conte plus tard dans l’après-coup. J’ai d’ailleurs fait une exposition « Lady Cobalt » à l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) à Caen en même temps qu’une lecture intégrale des 300 pages sur 3 jours (filmée par Alain Fleischer). Je poursuis ce travail entre images et littérature.
AE: En bon conte qu’il est, le récit peut se lire à plusieurs niveaux. La force de ses symboles sera d’autant plus patente pour ceux qui, ayant connu l’épreuve du cancer, ont déjà eu l’occasion de passer de l’autre côté du miroir. Aviez-vous à l’esprit, en écrivant La Reine Alice, cette dimension initiatique et les différents niveaux de lecture qui en découlent?
Lydia Flem: La littérature, pensait Nabokov, a toujours un lien avec les contes et donc avec un parcours initiatique. Je crois que « La Reine Alice » parle à travers de nombreux personnages féeriques ou persécuteurs, de la vie, de ses ombres et de ses lumières, comment tenter de les accepter les unes avec les autres, ensemble, sans vouloir les séparer ; de la confiance en soi : de quelle manière épouser son impuissance pour découvrir la quintessence de soi. Il y a de nombreuses pistes possibles de lecture, plusieurs livres dans le livre. Lire, c’est toujours relire.
AE: le récit insiste, à plusieurs reprises, sur la dépossession du corps établie par le corps..médical. Est-ce cette expérience douloureuse qui a généré la structure de la relation: besoin d’une mise à distance, d’un allègement de la relation par la forme du conte?
Lydia Flem : J’avais exploré l’autofiction à travers la trilogie « Comment j’ai vidé la maison de mes parents », « Lettres d’amour en héritage » et « Comment je me suis séparée de ma fille … » J’avais envie de me lancer un nouveau défi, d’essayer une forme littéraire qui m’offrirait la plus grande liberté, me permette de me laisser aller à l’imagination, au rêve, aux dialogues vifs, irrévérencieux ou tendres, à la poésie,.. Je voulais dire que la douleur peut se métamorphoser en beauté, que chacun possède une créativité personnelle dont il peut faire usage au quotidien, inventer sa propre vie, ne fusse qu’un tout petit peu, transformer la malchance en une part de chance, découvrir la richesse du présent…
AE: Si vous étiez un homme, opteriez-vous de préférence pour un conte aux allures de Petit Prince?
Lydia Flem: Le Petit Prince est très présent dans la construction même de ce roman par courts chapitres. La dernière image du livre, c’est justement La Reine Alice et le Petit Prince qui rêvent l’un à l’autre comme si les personnages d’un livre pouvaient rejoindre les personnages d’un autre livre. J’ai voulu dire que chacun de nous en lisant, en regardant un film, un tableau, en écoutant une musique, entre dans d’autres univers, partage d’autres destins. Nous sommes un et multiple. L’imagination, la littérature, la fiction offrent cette merveilleuse et étonnante liberté.
A podcaster: Lydia Flem était l’invitée de François Busnel (La Grande LIbrairie – France 5), le 10 février dernier, aux côtés de Laure Adler et de Diane Ducret. Je vous invite à podcaster (You Tube) un entretien magistral.
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