C’est d’abord une écriture. Et quelle plume..: je décerne à La part des cendres le Grand Prix du roman de l’Académie … apollinienne.
Et gage que Sophie de Ségur, née Rostopchine (1799-1874) sera de mon avis, qui se voit ressusciter, par le biais cette grandiose fresque historique et d’un mystérieux coffret en bois de palissandre qui aurait contenu le journal de son voyage de Russie vers la France en 1817.
Mais ne mettons pas le carrosse avant les chevaux et entamons le fil d’une saga qui nous mène, de 1812, depuis la campagne de Russie, conduite par l’empereur Napoléon au 31 décembre 2019, en Finistère.
Déchu de ses fonctions politiques et en particulier du poste de Gouverneur de Moscou, le fougueux comte Fiodor Rostopchine s’exile, avec son austère épouse et ses cinq enfants, en France et débarque à Paris, en octobre 1817.
Bientôt mariée au volage Eugène de Ségur, « Sophaletta » trouve paix … du ménage et refuge au château des Nouettes, à Aube (Normandie) rendu célèbre par la trilogie de Fleurville . Calqué sur celui des Nouettes, le fameux château de Fleurville sert de cadre aux Malheurs de Sophie, Petites filles modèles et Vacances)
Si « notre » Sophie est en première ligne, vedette incontestée de la première partie et consacre sa vie à la constitution de sa progéniture – huit enfants tout de même – et de son œuvre littéraire, une « comédie humaine » en mode enfantin, elle cède peu à peu la place et le focus, à Arlette de Pitray, son arrière-petite-fille, fondatrice du petit musée d’Aube et surtout à Rose Valland (1898-1980) , la merveilleuse, héroïque conservatrice de musée, qui répertoria un nombre considérable d’oeuvres pillées par les nazis et concourut, de la sorte à leur restitution. La montée du nazisme, les exactions d’Alfred Rosenberg et d’Hermann Goering contre le patrimoine culturel français sont décrites avec une précision remarquable.
En filigranes ou contrepoint, les figures et destinées de Stendhal, Tolstoï, Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar, entre autres, et cette remarquable mise en perspective géo-chronologique qui est le point-phare et fort, la prouesse érudite du roman
Ce faisant, l’auteure ne se prive pas de cette liberté d’imagination qui est l’apanage des romanciers
Apolline Elter
La part des cendres, Emmanuelle Favier, roman, Ed. Albin Michel, août 2022, 560 pp
Billet de faveur
AE : Pouvez-vous nous préciser, Emmanuelle Favier, ce qui vous a donné l’envie, l’impulsion de rassembler des destins aussi divers et riches que ceux de Sophie de Ségur, Rose Valland, Marguerite Yourcenar, pour ne citer que ces personnes
Emmanuelle Favier : La narration s’est construite au fur et à mesure, au fil de rencontres et de coïncidences, comme toujours. Il y a eu l’envie de relier la question de la spoliation aux origines de mon rapport à l’art et à la création, qui est forcément et avant toute chose un rapport à la littérature. Or qui fait généralement entrer les petites filles (et plus rarement les petits garçons) dans la littérature, sinon la comtesse de Ségur ? Les lecteurs et lectrices de ma génération ont le plus souvent formé leur goût de la lecture à travers des plumes masculines, mais Sophie Rostopchine constitue une exception notable à laquelle j’ai voulu, non pas tellement rendre hommage mais payer mon tribut. Rose Valland est une figure majeure et pourtant oubliée de la résistance dans le milieu de l’art et du patrimoine. Marguerite Yourcenar est une rencontre littéraire déterminante pour moi dans ces dernières années. Associer ces figures de femmes (et bien d’autres) n’était pas prémédité, mais l’inconscient a sans doute voulu s’exprimer ici et c’est de fait un chemin féminin que je trace dans ce livre. Chemin qui s’actualise, dans la dernière partie, avec les personnages de fiction et en particulier avec l’itinéraire du personnage de Mathilde, héroïne en quête de ses origines autant que de sa propre identité.
