« Oui, Nicolas. Voilà des années que tes lecteurs, que les critiques, que certains amis te le répètent, sur un ton de plaisanterie gêné: tes livres sont des meurtres. Tes inspirations sont des pulsions. Ces images si frappantes qui fascinent tes lecteurs, ces tableaux de carnage ne te demandent aucun effort: ils s’imposent à toi avec le naturel d’une mémoire inconsciente.«
Pas vraiment faux – Un propos dérangeant, cannibale jusque dans sa sexualité mais un style qui pourrait valoir à Nicolas d’Estienne d’Orves un prix académique, si les jurés ne font profession de végétarisme.
Soulagé – fragilisé? – par sa rupture avec Sonia, le narrateur, Nicolas Sevin, écrivain à succès, est invité par son éditrice Judith, à renouveler sa veine d’inspiration.
» La souffrance est mon jardin. La douleur porte mes mots. Je ne vois là ni fatalité, ni complaisance. Telle est juste ma nature: je suis chez moi dans le carnage. »
S’impose à sa mémoire l’histoire d’une dynastie de bourreaux, celle des Rogis dont il remonte la lignée de Rouen, 1278 à nos jours.
Alternant le présent du narrateur, d’une vie débridée et la généalogie des Rogis, les chapitres se succèdent, sanglés, sanglants, nourris de réflexions sur le processus d’écriture et de son inéluctable dévoration.
L’abolition de la peine de mort, en France, scelle la fin de la dynastie des Rogis; pas de l’inspiration de Nicolas.. Sevin et d’une fascination – morbide, forcément – pour « l’affaire Morimoto », as Issey Sagawa, nom de cet étudiant nippon, cannibale, qui dévora à coup de petits plats en sauce, l’amie néerlandaise qu’il avait fraîchement tuée le 11 juin 1981. Rien de plus envoûtant comme sujet de roman.
Un thème qui n’est pas sans danger:
« Ne comprend-elle pas que je vais faire mon autoportrait en me servant de Morimoto »
Une lecture déconcertante, qui consume à l’abyme, le génie d’écriture -avéré – de Nicolas d’Estienne d’Orves.
AE
La dévoration, Nicolas d’Estienne d’Orves, roman, Ed. Albin Michel, août 2014, 310 p
Commentaires récents