Il est des livres dont la parution vous échappe- mea culpa- qui heureusement vous revient ,soufflée par un vent favorable. en l’occurrence, celui du Prix des libraires 2013.
Tel est ce véritable joyau de lecture, un premier roman de la rentrée 2012 , signé Yannick Grannec, dont on sent que l’auteur l’a longuement travaillé, offrant à son lecteur une vraie générosité de maturation, de réflexions existentielles. Un roman qui rejoint L’élégance du hérisson (Muriel Barberry), Ensemble c’est tout (Anna Gavalda) au palmarès de lectures bienfaisantes. Y a t-il meilleure façon de clore notre année académique?
Mais encore.
Basé sur la vie (réelle) du mathématicien d’origine viennoise Kurt Gödel – père de la théorie de l’incomplétude – et fameusement documenté, le roman entreprend d’en cerner la personnalité peu engageante.
Pour ce faire, il utilise un procédé narratif bien ficelé: mandatée par l’Université de Priceton (U.S.A – 1980), Anna Roth , une jeune documentaliste, rend de régulières visites à Adèle Gödel, veuve du célèbre mathématicien, dépositaire des documents de son mari. Il s’agit tout bonnement de persuader la vieille dame de céder, avant que la mort proche ne l’emporte, ces précieux papiers. Une joute s’engage entre les deux femmes – Adèle Gödel affiche un caractère trempé d’une dure franchise – qui muera en une vraie estime doublée d’une solide affection. Mais cette dernière aura le bon goût – l’ultime pudeur – de ne pas s »afficher, laissant la relation voguer sur le registre de l’ambiguité.
« Vous avez besoin d’une bonne petite vieille un peu folle qui distille sa sagesse entre deux verres de sherry. Je ne suis pas cette personne, ma chère petite. »
Aux conversations menées dans la chambre de de la maison de retraite américaine où s’étiole la vieille dame, succèdent les flash-backs par lequelles elle raconte sa vie ancienne. Une vie de brimades, de sacrifices et de minuscules… victoires arrachées au forceps d’une patience sans faille. La présence affable et récurente d’Albert Einstein, ami de Kurt Gödel et présenté sous son angle bon vivant, apporte un souffle d’air frais au portrait autistique du mathématicien.
» Albert savait s’y prendre avec lui. Il aimait à lui distiller rudes contradictions et subtiles flatteries pour apaiser son caractère inquiet ,… »
« J’étais aveugle et j’aimais un homme sourd »
Alliant un style fluide à un sens de la formule dense et une tension narrative bien menée, Yannick Grannec use d’images, de métaphores neuves et parlantes. Pimente le propos d’un humour dosé. Et d’initier, avec brio, une approche d’intuitions, de raisonnements mathématiques complexes, de leur portée philosophiqueet même métaphysique.
Je vous en recommande instamment la lecture
Apolline Elter
La Déesse des petites victoires, Yannick Grannec, roman, Editions Anne Carrière, août 2012, 470 pp, 22 €
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