« Découvert si tôt ce premier matin, ce bleu magique ne m’a plus jamais quitté. Je le porte en moi comme un serment, comme une trace fondamentale, comme un rêve nécessaire. J’y trempe souvent ma main, mon bras, mon corps. Je me voyais, nageant dans ce bleu et sans jamais me fatiguer, parcourir des kilomètres jusqu’à l’ivresse. »
Tahar Ben Jelloun est écrivain – nous le savons depuis gracieuse lurette, dégustons ses écrits – il est aussi peintre et ces deux formes d’art sont, dans son chef, d’indissociables moyens d’expression.
Il est, de surcroît, cinéphile averti et cette passion a impacté son écriture. Les musiciens de jazz l’influencent aussi
D’un récit doux et apaisé, l’artiste franco marocain, repasse le fil de sa vie, et de ses émotions, depuis sa prime enfance « heureuse », entourée, colorée », à Fès jusqu’à nos jours.
Bien sûr, il y a des événements tragiques, la maladie des intestins qui affaiblit le jeune enfant, les dix-neuf horribles mois purgés dans un camp de redressement (relatés dans La Punition – Ed. Gallimard, 2018 -chronique sur ce site)
Après le bleu Tanger, il y a Paris, découvert, un jour de « grisaille inoubliable »
Il y a les amitiés, – Jean Genet, notamment – les éblouissements plastiques, Turner, Giacometti, Matisse, et peut-être même Magritte
Il y a surtout ceux qui croient en son art, l’exposent et le consacrent peintre, à sa modestie défendante.
« C’est quoi, être peintre? La réponse est dans le regard des autres. Il en est de même du statut du poète. C’est anti-poétique de s’autoproclamer poète »
Ainsi passé de l’amateur au professionnel, Tahar Ben Jelloun va vivre ses deux pôles artistiques, l’écriture, la peinture, comme deux moyens complémentaires d’expression; Aux côtés parfois sombres de ses écrits, la gravité de leurs sujets, il oppose la joie, l’exubérance chromatique de ses toiles
Et avant tout, il communique
« Un artiste, quelle que soit sa destinée, a besoin de savoir qu’il n’est pas abandonné, qu’il traverse les routes sous le regard de l’amitié et de l’amour, même si la solitude extrême est notre lot à tous, quand le corps s’éloigne de l’esprit. »
Et l’on se prend ainsi à rêver sur les correspondances tant en matière artistique qu’humaine.
La conception de vitraux, dans une « petite église de Loire » , confiée à l’artiste musulman qu’il est, caresse à coup sûr la rêverie enclenchée.
Apolline Elter
La couleur des mots, Tahar Ben Jelloun, essai, Ed. L’Iconoclaste, mars 2022, 224 pp