Françoise

Françoise« Françoise eut plusieurs vies et sut brouiller les pistes. Elle s’échappait toujours et n’aimait pas parler d’elle. Elle préférait parler des autres, écrire sur les autres, comprendre les autres. »

Ceux qui ont lu le magistral Françoise Giroud. Une ambition française de Christine Ockrent, publié peu de temps après son décès (2003), s’interrogent peut-être sur le bien-fondé d’une nouvelle biographie. La démarche de Laure Adler est autre et du coup, légitime: basée sur la découverte d’archives inédites et de journées passées à lMEC (Institut des mémoires de l’édition contemporaine), la biographie se fait plus intime – en témoigne le titre réduit au prénom seul – et trace un portrait de Françoise Giroud,  visité sous l’angle de sa fragilité et de ses rapports parfois complexes avec la vérité.

 » Françoise Giroud a toujours eu des rapports compliqués avec la vérité. Elle savait ne pas se souvenir de ses erreurs, niait, s’obstinait, comme dans l’épisode des lettres anonymes, détestait qu’on la prenne en défaut, comme dans sa querelle avec Mendès France, et feignait de ne pas être blessée quand elle était attaquée par ses ennemis, ainsi que le montre son attitude lors de la contestation de son titre de médaillée de la Résistance. Depuis longtemps, elle a décidé qu’elle ne se regardait pas dans l’image que les autres se faisaient d’elle-même mais qu’elle obéissait à ses propres instincts. »

Figure de proue du journalisme engagé, Françoise Giroud a porté Elle et L’Express sur les fonds baptismaux, entamant, avec la naissance de ce dernier, la grande histoire d’amour qui l’unira à Jean-Jacques Servan-Schreiber. Ce dernier était alors marié à  Madeleine Chapsal. 

Traçant chaque étape de la vie de la  panthère –ainsi que la surnomme JJSS Laure Adler en analyse les marques laissées sur son tempérament: née France Gourdji, elle essaiera de pallier la déception paternelle de n’avoir eu un fils. La mort de son père, émigré de Turquie pour s’être opposé au rapprochement de son pays avec l’Allemagne,  précipitera progressivement  la famille dans la dégringolade financière. Françoise Giroud commencera sa vie active en tant que script pour le cinéma. Après la guerre 40-45 qui la verra entrer en résistance, elle fondera, aux côtés d’Hélène Gordon-Lazareff, revenue des Etats-Unis  la tête farcie d’idées de modernité, le magazine Elle. Quelque temps plus tard, elle lance L’Express – la grande aventure journalistique de sa vie – aux côtés de JJSS, avec pour but avoué de faire entrer Pierre Mendès France au gouvernement.

La mort de ses proches, sa mère, Douce, sa sœur et surtout celle d’Alain son fils, disparu au cours d’une expédition à ski,  seront des épreuves particulièrement marquantes de son existence, ainsi que la séparation d’avec JJSS qui lui vaudra une tentative de suicide, ratée,  à son grand dépit. Battante et pudique, Françoise rechignera viscéralement à se plaindre, trouvant auprès de Jacques Lacan, le célèbre psychiatre, suivi et réconfort. Reste la question juive que l’intéressée avait toujours occultée, sur foi d’un serment fait à sa Maman.  Elle éclaire, elle aussi, le portrait d’une personnalité extrêmement attachante dont nombre journalistes contemporains aiment  se revendiquer.

 » Est-ce la manière si particulière qu’a Françoise Giroud de mêler le sentimental au politique, de percer les êtres à l’aide de peu de mots, de faire des phrases de plus en plus courtes, percutantes, au risque de bousculer, parfois, la syntaxe? « 

La future Secrétaire d’Etat à la Condition féminine – sous le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing – avait, innée, le sens de la formule. Une formule pointée d’ironie, d’émotion ou… assassine. Elle avait le courage de ses options et d’une vie qui ne lui a pas toujours fait de cadeaux.

L’éclairage que nous offre Laure Adler est un vivant hommage à une figure marquante du XXe siècle et à sa vérité.

Apolline Elter

Françoise, Laure Adler, biographie, Grasset, janvier 2011, 494 pp, 22 €

 

2 commentaires sur “Françoise

  • Adrienne 3 avril 2011 at 7 h 28 min

    voilà un billet qui me donne envie de relire « Ce que je crois », qui dort dans ma bibliothèque depuis la lointaine époque de ma philologie romane 😉
    merci, Apolline, pour la qualité de vos écrits, avec l’humain et l’humour en plus 🙂

  • Apolline Elter 3 avril 2011 at 8 h 24 min

    Alors là, merci, Adrienne: vous me faites un plaisir immense! Bonne lecture et à très bientôt! Apolline

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