» Fouquet est l’homme le plus vif, le plus naturel, le plus tolérant, le plus brillant, le mieux doué pour l’art de vivre, le plus français. Il va être pris dans un étau, entre deux orgueilleux, secs, prudents, dissimulés, épurateurs, impitoyables. Il succombera, étant resté un homme du temps de la Fronde, avec quinze ans de retard sur l’époque qui s’annonce. Confiant et aveugle; n’ayant su ni percer à jour la Reine-Mère; ni qualifier Mazarin; ni juger Colbert; ni prévoir Louis le Grand.
Fouquet a dû croire que tout s’achète, même le destin. »
Tout est dit.
C’est un brillant plaidoyer en faveur du sieur Fouquet, le célèbre surintendant des finances pris en grippe – et inextinguible hargne – par Louis XIV, soutenu de la haine féroce que lui voue Colbert, que Paul Morand nous propose, avec cet opus, publié il y a quelque 50 années. La valeur de l’écrit ne s’éteint pas au fil du temps, la relation n’a pas pris une ride qui nous explique, point par point – et en boucle – l’implacable descente aux enfers d’un homme, né pour le bonheur, qui n’a pas pris le pouls d’une époque et d’un souverain revanchard, pressé d’inscrire son seul nom dans l’histoire d’un Grand Siècle déjà bien entamé.
A ce titre, la date du 9 mars 1661 – jour du décès du Cardinal Mazarin – revêt une importance cruciale car elle libère le jeune monarque du joug de son parrain, lui permet d’enfin exercer le pouvoir absolu , semant dans la foulée les germes d’une ruine toute proche, celle du surintendant.
Pratiquant le mécénat, de larges ponctions dans les caisses de l’Etat et l’élégance d’une culture généreuse, raffinée, Nicolas Fouquet subit son adversité et le procès inique qui lui est réservé avec panache et une philosophie qu’on n’aurait pas soupçonnée chez un être à ce point épris de luxe, d’ostentation. Les quelque 15 années passées dans le donjon de Pignerol (Alpes italiennes) auront raison de sa vie. Il y meurt, alors même que le Roi a enfin décidé d’user d’un peu de clémence à son égard et de lui permettre une cure d’eaux à Bourbon. La compagnie du fantasque Lauzun, personnage rocambolesque entre tous (voir chronique sur ce blog de la biographie que lui consacre Jean-Christian Petitfils) ponctuera de quelque légèreté comique ce séjour d’enfer.
« Si même il fut malhonnête et damnable, Fouquet, du moins, était généreux et bon, tandis que Mazarin, Colbert, Séguier, la Montespan, bien d’autres héros de ce temps, furent à la fois malhonnêtes et méchants. »
Au-delà au personnage de Fouquet, c’est la personnalité de Louis XIV, sa cruauté suspecte et la faiblesse d’une suprême goujaterie qui est révélée au grand jour. Envieux de la réussite de son surintendant, le monarque lui volera vie, oeuvres, meubles,vaisselle, orangers, ..jusqu’aux artistes – Le Brun, Le Nôtre, Le Vau, la Quintinie, Molière…- qui gravitaient dans son sillage, injectant à Versailles tout ce qu’il avait vu -et envié – à Vaux.
» Vaux, énorme échec pétrifié; mais ce n’est pas l’échec d’un fou, ce fut le décor d’une réussite parfaite, qui n’a duré qu’une seule soirée, celle du 17 août 1661. Aucun dramaturge n’a réalisé pareille unité de lieu et de temps: le 17 août, à six heures du soir, Fouquet était roi de la France; à deux heures du matin, il n’était plus rien. Vaux ou le songe d’une nuit d’été. Vaux bat Versailles de cinq ans. Fouquet n’est-il pas un Louis XIV prématuré? «
Apolline Elter
Fouquet ou le Soleil offusqué, Paul Morand, Gallimard 1961 (folio histoire, plusieurs rééditions, 1985-2006, 181 pp, 5,10 €).
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