« Je prépare ces rencontres pendant des jours, des semaines parfois. J’avale les livres, je relis les interviews, écoute des podcasts, j’interroge amis, collègues. Il n’est pas une rencontre ~ laquelle je n’arrive stressé, comme lors de mes débuts dans ce métier. Parfois, ces entrevues se prolongent pendant des heures Je mets plusieurs jours à réécouter, à reconstituer l’entretien lorsque le fil de la conversation s’est perdu. Certains invités demandent une relecture. À d’autres, je l’ai spontanément proposée. Non pour me soumettre à leur bon vouloir mais pour être au plus près de leur vie, de leurs émotions. Chaque entretien est précédé d’un texte qui raconte les coulisses, la manière dont la rencontre s’est déroulée. »
Bien connus du public belge, les grands entretiens menés hebdomadairement depuis quelque cinq ans par l’éditorialiste de La Libre Belgique, procèdent de la joaillerie journalistique.
Ils saisissent et cernent de grandes personnalités des sphères politique, artistique, académique, .. « people » de France et Belgique, en leurs bilan de vie, essence, philosophie et vision de la mort.
Béni soit l’éditeur qui a rassemblé trente-six de ces entretiens, parus de 2017 à 2021 et nous permet de découvrir ou de relire les rencontres fabuleuses du journaliste avec Salvatore Adamo, Florence Aubenas, Tahar Ben Jelloun, Rachid Benzine, Alexander De Croo, Alain Delon, Delphine de Vigan, Simon Gronowski, François Hollande, Delphine Horvilleur, Jean-Claude Juncker, Bernard Henri-Lévy, Pierre Marcolini, Philippe Maystadt, Docteur Denis Mukwege, Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Gabriel Riunglet, Nick Rodwell, Anne Sinclair, Camille Thomas et Lambert Wilson.. pour ne citer que le produit de ma sélection passionnée.
Précédés d’une efficace biographie, les entretiens profilent subtilement l’ambiance des rencontres et posent questions et mots justes, affranchis de tabous, bienveillants, bienfaisants.
Un recueil de garde à savourer au gré de vos intérêts et à conserver précieusement
Un vœu marqué qu’un deuxième tome voit le jour
Apolline Elter
Etats d’âme – Grands entretiens, Francis Van de Woestyne, recueil, les Impressions nouvelles, février 2022, 456 pp
Billet de ferveur
AE : la sélection de vos rencontres procède semble-t-il de sympathie, notoriété et, dans tous les cas, d’a priori bienveillant. Vous devez avoir beaucoup de sollicitations et un planning des plus chargé
Francis Van de Woestyne :La philosophie des rencontres a un peu évolué au cours du temps. Au départ, ayant été journaliste politique pendant plus de 30 ans, je me limitais à la sphère politique. J’ai commencé ces rencontres avec Charles Michel, Paul Magnette, Olivier Maingain, Joëlle Milquet et Emily Hoyos. Bien vite, j’ai eu envie d’élargir le champ de mes rencontres et me suis spontanément tourné vers des écrivains, des philosophes, des artistes, des comédiens, des sportifs, des scientifiques, des académiciens. J’aime que ces entretiens se décident un peu au hasard de mes rencontres ou de mes lectures. Parfois l’un ou l’une me pousse vers un ou une autre personnalité. Ainsi, après avoir rencontré la rabbine Delphine Horvilleur, je me suis plongé dans les livres de l’islamologue Rachid Benzine. François Hollande m’a, sans le dire explicitement, incité à rencontrer Julie Gayet, auteur d’un puissant plaidoyer féministe. J’aime surtout mélanger les genres : ces derniers mois, j’ai donc rencontré Matthieu Ricard, Sebastiao Salgado, Catherine Nay, Elio Di Rupo, Georges-Louis Bouchez, Typh Barrow. Suivront, pour clore ce trimestre, Adelaïde Charlier, Bart Van Loo et Marie de Hennezel. Il n’y a donc aucun fil conducteur. Juste la volonté de tenter de « fendre les armures » et de dénicher en chaque personnalité, des volutes faibles ou puissantes, de bonté, de générosité, d’humanité. Et de doute aussi. Souvent, voire même toujours. Car tel est mon parti pris conscient et assumé : je ne réalise pas un reportage d’investigation sur les personnalités que je rencontre. D’autres sont mieux armés que moi pour ce faire. Moi, je cherche la lumière, le positif, les âmes.
AE : Vous arrive-t-il de refuser des propositions ou de ne pas publier le compte rendu d’une rencontre ?
Francis Van de Woestyne :Oui, j’ai déjà refusé des rencontres. D’ailleurs, je n’aime pas trop quand la personnalité elle-même ou son entourage me le propose. J’aime quand ce sont des amis, des collègues qui me suggèrent et qu’ils n’ont aucun intérêt à le faire . Evidemment, cela rend les choses un peu difficiles car il est des personnes que je « poursuis » depuis longtemps et qui n’ont pas (encore je l’espère) accepté. Parfois, les entourages refusent ce genre de rencontres car ils craignent que les entretiens soient indiscrets, abordent des questions trop privées. Alors que je pense, au contraire, que ces rencontres humanisent les personnes. Je suis toujours frappé de voir le plaisir qu’ont ces personnes à prendre le temps de parler de sujets « en profondeur », elles sont heureuses de disposer du temps, du recul nécessaires à la réflexion et à la nuance. Pour être plus précis, j’attends toujours les réponses, positives j’espère, du Vatican et de l’Elysée. Voire aussi de Catherine Deneuve… J’ai eu une très mauvaise expérience avec Jack Lang : mal luné ce jour-là ou bouffi d’orgueil ? Je ne sais pas. Je raconte l’entretien dans le recueil. J’ai repris son texte parce que, finalement – et cela n’est arrivé qu’une seule fois – il a répondu aux questions par écrit après une rencontre vraiment calamiteuse. Et nous avons estimé que ces réponses en valaient la peine. Parfois, on me dit : surtout pas celui-là. Il n’en faut pas plus pour m’inciter à suggérer ou à accepter la rencontre. Ce fut le cas avec Alain Delon, émotion totale, ou avec Nick Rodwell, étrange mais finalement sympathique Deux belles découvertes malgré les mystères qui entourent ces personnalités.
AE : A quand un Etat d’âme « Francis Van de Woestyne ? »
Francis Van de Woestyne :Je me suis soumis à l’exercice le 17 février dernier, lors de la présentation de ce recueil. C’est le recteur de l’UCLouvain, Vincent Blondel, qui me l’avait proposé. Je trouvais l’idée intéressante. Et je me suis rendu compte, en réalité, qu’il n’est pas facile de parler de soi, de confier des choses personnelles sur sa vie, son parcours, des croyances. Cela demande un certain courage, de l’honnêteté. Et j’apprécie d’autant plus la démarche de ceux et celles qui acceptent ces rencontres. Pour moi, ce sont toujours des « cadeaux ». Cela dit, je préfère être dans la position de l’intervieweur que de l’interviewé.