D’emblée, de couverture… – le propos est campé: le nouvel Armel Job traite d’amour et de mort.
Oui mais …
Fraîchement veuve, la très belle, polonaise et profondément catholique, Teresa Broncart offre l’hospitalité fortuite à Branko Hrastov, un émigré croate, en panne de voiture…L’amour saisit d’autant plus rapidement ces deux êtres que Teresa reconnaît en Branko, catholique tout aussi pratiquant, une multitude de signes envoyés par son défunt mari. A commencer par le sifflotement du choeur des pélerins de Tannhäuser (Wagner), air qui accompagnait, en boucle, les derniers jours de celui-ci.
Branko/Broncart…. simple coïncidence? Récit d’amour ou d’imposture ?
Armel Job aime les ambiances en clair-obscur..
L’intervention de meurtre(s) qui brouillent les pistes de lecture…
Et, en effet, on découvre bientôt le cadavre de Suzanne Bocols, serveuse dans un bar…
Les soupçons se portent rapido sur Branko, dont le comportement sanguinaire en ex-Yougoslavie nourrit bien des rumeurs:
» Un homme qui avait assassiné des femmes et des enfants n’était pas à un meurtre près. »
Les faits se passent en l’automne 1995, dans le village ardennais de Wermont, en présence des deux fils de Teresa : Tadeusz, l’aîné, le préféré et André, l »intellectuel », le cadet. Amenés à consigner leurs versions respectives des événements, Tadeusz et André alternent les chapitres de leur narration, offrant au roman un tour choral et le rythme d’une procession, progressant de pas arrière et bonds avant. Déconcertant a priori, le procédé saisit peu à peu le lecteur aux rets d’une intrigue palpitante, de révélations savamment distillées et d’une mécanique narrative parfaitement huilée.
Conteur devant l’Eternel – on ne s’en lasse pas – Armel Job traduit, d’un style vif, incisif, prodigieusement introspectif les états d’âme de ses protagonistes. Le thème de L’Eros/Thanatos se voit subtilement étoffé de ceux de la victoire de la vie, de la vérité et surtout du pardon.
L’effet en est poignant.
Je vous en recommande la lecture
Apolline Elter
Et je serai toujours avec toi, Armel Job, roman, Ed. Robert Laffont, février 2016, 306 pp
Billet de faveur
AE : Une nouvelle fois, Armel Job, vous mettez en scène tous les éléments d’un procès : victime, faits, témoins, suspects, enquête…..Ne manquent, apparemment, que le juge, le jugement. Vous laissez ce dernier aux bons soins du lecteur ? A la vie ?
Armel Job : Il n’y a pas que les institutions judiciaires qui rendent des jugements. On peut même dire que la justice en tant qu’institution ne s’occupe que d’une frange parfois anecdotique de la justice en tant que principe moral. Au terme de guerres civiles, comme celles qu’ont connues les anciennes républiques yougoslaves, quand des crimes de guerre ont été commis dans tous les camps, au terme d’un génocide comme celui des khmers rouges ou celui du Rwanda, il est évidemment impossible de condamner tous les coupables. Au mieux, on pourra faire quelques exemples avec les leaders. Mais les assassins ordinaires restent dans la nature. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de justice. La justice peut intervenir par d’autres voies que les voies officielles. Car l’assassin doit vivre avec son crime. C’est parfois plus insupportable que de purger une peine. Je vous renvoie à un certain Dostoïevski, auteur d’un roman appelé « Crime et châtiment ». Le pire jugement dans mon roman, c’est celui de la vie. Le criminel ne peut reprendre le cours de sa vie. L’amour auquel il voudrait se donner sincèrement lui est refusé.
AE : La couverture du roman est ..glaçante pour un roman qui résonne avant tout d’amour et de vie. Est-ce un choix délibéré ?
Armel Job: La couverture est toujours un choix de la maison d’édition. Je veux bien qu’une pierre tombale soit a priori glaçante, mais elle n’est que dalle ! Ce qui compte c’est l’épitaphe. Tout le roman est mû par un personnage mort, mais singulièrement présent, selon la promesse qu’il a fait graver sur sa tombe, à savoir le mari défunt de l’héroïne. C’est lui, en fait, qui est à l’origine de toute l’histoire. Derrière le visiteur inconnu qui s’installe dans la famille et séduit la mère, il est là, en permanence. Je crois profondément que la vie n’appartient pas qu’aux vivants. Les morts continuent à vivre parmi nous. Leur influence souterraine est permanente. Certaines civilisations en tiennent compte, la culture occidentale n’ose pas y penser. Il y a même des gens qui frissonnent à la vue d’une simple pierre tombale en papier. Les morts sont parmi nous, de façon invisible. Un père aimé, une mère aimée, disparaissent-ils vraiment de nos vies ? Moi, je pense à mes parents morts tous les jours. Comme l’a dit Faulkner, le passé n’est jamais mort, ce n’est qu’une illusion. Nous vivons avec lui.
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