« Merde, j’aurais très bien pu me dispenser de ce déjeuner. Plein le dos de la position du père. Je dis ça, et c’est moi qui les ai sonnés au lieu de séjourner à Paris incognito. Qu’est-ce que ça peut leur faire ce que j’ai décidé? M’en aller, disparaître. Ils ne pensent qu’à eux, de toute façon, ne parlent que d’eux, et moi je suis là pour relancer la conversation. Ils attendent que je m’enquière, que je cautionne, que je félicite. Aucun ne se demande jamais ce qui me traverse, comment je m’arrange de la vieillesse et de ma fin prochaine. J’exagère, il y en a toujours un pour s’inquiéter – « Et toi, papa, ça va ? » Une seule fois j’ai répondu « Non, pas du tout, ça ne va pas du tout », et celui ou celle qui se trouvait là a feint de ne pas avoir entendu. «
Que diable Augustin a-t-il eu l’idée de réunir ses quatre enfants, David, Claire, Anna et Coline, dans un restaurant parisien, pour, en fin de compte, ne pas leur annoncer son dernier grand projet: Dis-pa-raître
Disparaître de leur vue, de la vie, à la faveur d’un périple cycliste en direction de Stalingrad – Augustin refuse de nommer la ville autrement – et n’en pas revenir.
En d’autres termes, mourir
Inscrite dans les pensées et fantasmes du tout frais septuagénaire: l’angoisse d’offrir aux siens l’image de la (grande) vieillesse et de la déchéance, est le moteur de sa décision.
Son « vieux Singer » lesté de ses bagages, portable et lectures de survie sera le moteur de ce périple existentiel, de rencontres, avatars, liaisons et …disparitions
L’occasion pour l’écrivain de revenir – une nouvelle fois – sur ce passé familial qui a marqué sa vie, son écriture, de réfléchir sur le sens de cette dernière, sa fonctionnalité, son utilité. De s’interroger sur sa qualité de père, la relation qui l’unit à ses quatre enfants, aux mères de ceux-ci.
Un partage et une mise en abyme de l’écriture en… mouvement du roman.
Et toujours ce souffle puissant qui se fait fi des chapitres pour nous entraîner en roue libre dans sa démarche existentielle
A. Elter
Disparaître, Lionel Duroy, roman, Ed. Mialet-Barrault, août 2022, 296 pp