Lever de rideau sur le nouvel Armel Job.
» Ah! que vienne, que vienne le spectacle! »
Une scène magistrale, je vous l’annonce d’emblée.
Une plongée dans les années 1999-2000, le quotidien de deux bourgades liégeoises, Jalbour et Brul, d’une troupe de théâtre amateur, le Royal Sillon, dirigée pendant plus de vingt ans par un personnage glauque et malfaisant, Arsène Chockier et les viols perpétrés par ce dernier.
« Ce qui nous est arrivé, ce sont les aléas de la vie. De regrettables incidents, j’en conviens. On est tous victimes. »
La mise en scène d’une nouvelle pièce – Le Cheval de retour, d’Haakon Ibsen- et l’intégration d’une famille de Kazachs, Irène, Jakob et leurs deux filles, Olga et Vika Touzenbach seront le théâtre d’une douloureuse résurgence du passé et du poison que la loi du silence, les non-dits, ont infiltré dans les relations conjugales. Elle consacre le difficile départ entre la scène et la vie réelle, l’inévitable fusion des acteurs dans leurs rôles et les dérapages qui s’ensuivent.
D’une plume précise, alerte et enjouée, Armel Job sonde, une nouvelle fois, les tréfonds de l’âme des braves gens et …des autres, les secrets de leurs relations, de leurs méfaits. S’il le fait, sans concessions, il ne peut s’empêcher d’éclairer chacun de ses protagonistes de cette tendresse caustique qui signe ses écrits.
Le roman d’un conteur – brillant – qui prend tôt l’allure d’un thriller -passionnant – et qui pose une nouvelle fois les jalons de multiples interprétations…. Et la question morale des fausses innocences….
De regrettables incidents, Armel Job, roman, Ed. Robert Laffont, février 2015, 288 pp
Billet de ferveur
« La vie est un théâtre. A la fin les masques tombent. Mais c’est trop tard. La pièce est finie. »
AE: C’est sur cette sentence que tombe le rideau du roman. Nos relations, nos actes ne seraient finalement que des jeux de rôles ? Seule la mort en conclurait l’équivoque ?
Armel Job :La vie est un spectacle. Dès que nous paraissons devant les autres, nous sommes en représentation. Nous devons nous montrer. Nous nous exposons et, donc, nous nous protégeons. Nous portons un costume, nous nous composons un visage, nous devenons un personnage qui s’exprime conformément au rôle qu’il a choisi. Tous, nous savons qu’il y a une grande différence entre ce que nous sommes, ce que nous voudrions être, ce que nous choisissons que les autres perçoivent de nous et, sans doute, ce qu’ils en perçoivent réellement.
Ce masque que nous portons est à la fois choisi et imposé. Par exemple, dans le roman, Chockier veut se donner les allures d’un intellectuel. Il porte le masque du professeur de philosophie. C’est son choix, sans doute, mais c’est aussi le choix de sa mère. Il n’a pu décevoir les ambitions que sa mère mettait en lui.
À telle enseigne, le théâtre est une expérience très intéressante à la fois pour le comédien et pour le public. Le comédien change de masque quand il monte en scène. Il abandonne le masque qu’il porte dans sa vie ordinaire et en adopte un autre. Dans cet échange, il prend conscience de la fragilité de son masque ordinaire. Par exemple, Olga est obligée dans la vie quotidienne de porter le masque de la sœur dévouée qui veille sur sa petite sœur et, du coup, lui sacrifie sa féminité. Quand elle monte sur la scène, elle porte un autre masque, cynique, séducteur, qui est celui de son personnage dans la pièce, mais dont elle s’aperçoit qu’il lui apporte une vive satisfaction. D’où la question que le comédien peut se poser : qui est-il en définitive ? De même, le public, surtout dans le contexte du théâtre amateur limité à une petite ville, est tout à coup confronté à la métamorphose d’une personne qu’il connaît dans la vie courante, mais qui brusquement devient une autre personne tout aussi plausible. Alors qui est mon voisin en vérité ?
La vérité n’émerge que lorsque quelqu’un laisse tomber le masque qu’il porte dans la vie. Quand il va mourir, par exemple. Ou, sans aller à cette extrémité, quand le masque à la suite de certains événements devient intolérable. On veut l’arracher, dire la vérité. Une femme victime d’un viol peut porter longtemps un masque derrière lequel elle cache la violence subie. Il peut se produire quelque chose, comme dans la vie de Marianne, qui lui rend ce masque insupportable. Mais il faut encore savoir si les autres accepteront qu’on arrache son masque. Pour eux, c’est peut-être la vérité qui est insupportable. La plupart du temps, ils prient donc les personnes qui s’avisent de retirer leur masque de le remettre au plus vite.
La vie est un spectacle.
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