Déconcertant. Et, à la fois, fascinant, un rien envoûtant, bien écrit, décalé, …le roman de Chantal Pelletier tient de tout cela, à la fois.
Penchons-nous sur l’argument: victime d’un accident de voiture largement imputable à son père – honni – la narratrice, photographe de son métier, se voit privée du goût. Mais pas de l’odorat. S’ensuit un rapport nouveau, détestable et détesté, à la nourriture, perçue pour sa seule consistance, peu ragoutante dans la plupart des cas. Face à ce handicap, l’enjeu devient vital d’accéder à une forme de bonheur gastronomique, par le seul biais de la texture, fi fait du goût..
» La colère passée, je m’efforçais de retrouver mon calme dans la contemplation des jaspures rubanées d’une lamelle de truffe. Je m’amusais avec des framboises fraîches, me les fourrais au bout des doigts, transformés en phalliques marionnettes, léchais sans vergogne leur gland rubis, me caressais les lèvres et les joues avec leur velours tendre, reniflais leur douceur mate…mais les croquer ne me laissait que des graines agaçantes entre les dents. »
Atteinte au plus profond de sa sensualité gourmande, la narratrice connaîtra une ébauche de rédemption, tandis qu’elle rencontre Pol, un ado de treize ans, atteint de diabète. Nourrissant lui aussi un rapport fort – et vital – avec la nourriture, ce dernier deviendra la bouche d’un duo aussi inattendu qu’attachant: » A table, il a savouré chaque bouchée, attentif, concentré. J’ai cru alors percevoir, de sa bouche à ma bouche, fantomatiques et jouissives, l’acidité charnue des tomates séchées, l’amertume suave du caviar d’aubergine, les saveurs d’étables d’un gorgonzola brillant de crème…. »
Un roman initiatique, sensuel, truffé de symboles et de cette science imparable du goût qui n’a de réelle valeur que de partage…
Apolline Elter
De bouche à bouches, Chantal Pelletier, roman, Joëlle Losfeld, décembre 2010, 134 pp, 12, 9€
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