Est-il possible d’écrire encore après Rien ne s’oppose à la nuit . C’est la question qui hante Delphine de Vigan, tétanise sa main, sa plume, après le tsunami médiatique que lui vaut la parution de ce témoignage familial hors du commun
D’après une histoire vraie….
Surgit dans la vie de la narratrice, une mystérieuse L., qui d’inconnue va doucement, inexorablement, se promouvoir au rang de confidente, complice, amie indispensable, double gémellaire, miroir de l’auteur. Se jouant de la candeur, l’hypersensibilité et, partant, vulnérabilité de cette dernière, L. va exercer une emprise croissante, trouble, paralysante, délétère… grevant la narration – somptueuse – d’une menace diffuse.
Et le lecteur, oppressé, fasciné, de retrouver l’ambiance d’harcèlement des Heures souterraines ( JC Lattès, 2009)
« L. avançait à pas de velours, elle avait tout son temps. »
La réception de lettres anonymes,violentes, ajoute à l’envoûtement opéré par ce thriller psychologique
Qui est « L », qui est-« elle »?
– Nous avons beaucoup de choses en commun.
Mais toi seule peux les écrire. »
Allégorie de la voix intérieure de l’auteur, incarnation en trompe-l’oeil d’un processus psychologique qui la prive de sa substance, la vide et la mène à une sorte de burn-out, crise de l’écrit, dont le récit la relève, la libère…. ? La question hante le lecteur, le trouble et ne le quitte, dernière page – hélas – achevée. L’évocation du proche entourage de Delphine de Vigan et en particulier celle de son compagnon, « François » (NDLR Busnel) ajoute au côté « vécu » du propos.., ancre en une réalité revendiquée, un jeu de miroirs qui se fait labyrinthe.
» Maintenant que j’expose ces faits, reconstitués dans un ordre à peu près conforme à celui dans lequel ils se sont déroulés, j’ai conscience qu’apparaît, comme à l’encre sympathique, une sorte de trame, dont les ajours laissent entrevoir la progression lente et assurée de L. … renforçant chaque jour son emprise. Et pour cause, j’écris cette histoire à la lumière de ce que cette relation est devenue et des dégâts qu’elle a provoqués. Je sais l’effroi dans lequel elle m’a plongée et la violence dans laquelle elle se termine »
Un roman saisissant, dont je vous recommande vivement la lecture
Apolline Elter
D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan, roman, Ed. JC Lattès, août 2015, 486 pp
Billet de ferveur
AE : Vous le pressentez, Delphine de Vigan, la question du vécu, de la réalité contenue dans le récit sera au cœur des interviews. Il faut une bonne dose de courage pour exposer ainsi, avec tant de justesse, un moment de vulnérabilité affective. Et à la fois, c’est votre force, votre victoire d’avoir pu le dépasser, l’exprimer ?
Delphine de Vigan : Oui, en effet cette question est au centre du livre. Pourquoi avons nous besoin de savoir si l’histoire qu’on nous raconte est vraie ? En quoi est-ce si important ? Le roman est l’histoire d’un piège qui se referme sur la narratrice mais pas seulement sur elle… Une histoire d’emprise et de vertige. Qui est la plus vulnérable dans cette histoire ? L. ? La narratrice ? Le lecteur qui aimerait bien savoir ce qu’on lui raconte ?
C’est une allégorie, vous avez raison, un jeu de pistes et de miroirs. Qui sait jusqu’où je m’y expose… ?
NDLR: Le roman s’est vu doublement primé, fin 2015, des prestigieux prix Renaudot et Goncourt des Lycéens et sort vainqueur, en cet été 2016, du Prix Audiolib des auditeurs. Une lecture audiolivresque opérée par Marianne Epin
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