« En près de trente ans d’exercice, j’ai été le réceptacle de toutes les frustrations du monde arabe. J’ai représenté pour l’un la contractuelle revêche qui finissait par se laisser aller, pour d’autres l’institutrice qui les humiliait devant toute la classe. Pour d’autres encore, une mère de substitution à celle qui les avait toujours méprisés. Rares sont ceux qui m’ont donné le sentiment qu’ils me quittaient vraiment ressourcés. C’est pourtant la fonction première de mon cul. »
Pour évoquer la Révolution arabe, Rachid Benzine a choisi la voix – et le corps – de Nour, une prostituée ( de mère en fille, dans sa famille …)
Nour reçoit ses clients, dans un discret studio et leur argent lui permet d’élever décemment sa fille, Selma, treize ans, ignorante du métier de sa mère.
Elle nourrit également une belle et riche amitié avec Slimane, poète homosexuel, en marge, lui aussi, de la norme sociale.
Et c’est ce double point de vue, précisément, tissé sud fond d’étonnement, de recul et d’espoir qui rend la relation intéressante.
« En attendant que l’Histoire nous fixe rendez-vous pour la gueule de bois du siècle, nous vivons les jours les plus grisants de l’entre-deux-rounds. La culture donne le tempo. Les rêves d’un peuple s’incarnent dans les concerts, les chants, les danses, les expos photo, les performances, les tags, les fresques et les œuvres plastiques de toutes sortes qui poussent comme des champignons aux endroits les plus inattendus. Les lectures publiques,
les forums de discussion qui s’organisent partout portent à croire qu’une douce anarchie va transformer ce pays en paradis terrestre. »
Un roman « politique » à n’en point douter
A Elter
Dans les yeux du ciel, Rachid Benzine, roman, Ed. Seuil, août 2020, 172 pp