Dans la gueule de la bête

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Armel Job n’ose se qualifier d’écrivain. Il a cette modestie.  Il se voit romancier, conteur d’histoires… Il l’est bien davantage, je vous le certifie.

Plongeons dans son nouveau roman, au coeur de Liège qu’il chérit et d’une page sombre de notre Histoire, à savoir, la seconde guerre mondiale, l’Occupation et la délation corollaire.

Soustraits à la persécution antisémite par la générosité respective d’un couvent de religieuses, de Madame Guignard, une concierge à la Muriel Barbery et de Maître Desnoyer, un notaire téméraire, la petite Anna et ses parents, Volko et Fannia voient s’écrouler ce fragile édifice de la solidarité par l’action malfaisante de Baumann, un indicateur de la SIPO:

« Des Juifs, il en a dénoncé des dizaines, avec la prime à la clé. Ca lui fait un bon magot pour plus tard, quand la guerre sera finie, après la victoire du Reich » 

Prêtre de l’âme humaine, d’une conscience qu’il sonde dans ses plus intimes mouvements et surtout grand conteur devant l’Eternel, Armel Job nous offre une nouvelle fresque palpitante d’un chassé-croisé de destins. En point de mire, « des gens ordinaires confrontés à une situation extraordinaire » et cette tendresse goguenarde dont l’auteur enveloppe ses protagonistes.

 » Ce qu’il y a de terrible dans la guerre, c’est qu’il ne s’agit plus du bien et du mal, comme on se l’imagine, mais seulement de différentes sortes de mal entre lesquelles il faut se décider. »

Un grand roman.

Un grand écrivain

Tout simplement.

Dans la gueule de la bête, Armel Job, roman, Ed. Robert Laffont, février 2014, 310 pp, 19.5 €

 

Billet de faveur

 

AE: Liège est protagoniste à part entière de ce nouveau roman, déclinée de belles descriptions de quartiers, d’âme et  de cette Meuse qui la traverse. On y déguste des « gosettes ». Une envie de promouvoir la Cité ardente auprès d’un public français? 

 

Armel Job: Mon histoire se passe à Liège pour la simple raison que la documentation dont je dispose à propos de mon sujet concerne Liège. C’est une ville que je connais relativement bien, où j’ai vécu. Cela facilite la narration. Les lieux que je décris me sont familiers.

Ensuite, ce n’est pas une ville connue pour la question juive pendant la guerre comme Amsterdam, par exemple. On peut même s’imaginer qu’il n’y avait pas de population juive significative à Liège. Je pense que la jeune génération liégeoise, par exemple, ignore tout de l’histoire des Juifs de Liège. Dans un roman, c’est intéressant d’aborder les questions par un angle inattendu. Quoi, il y avait des Juifs à Liège !  Déjà, on bouscule le lecteur dans ses stéréotypes. Pour lui, les Juifs de Belgique étaient à Anvers. Liège est une bonne entrée en matière. Dès lors, on peut poser la loupe romanesque sur les circonstances, les personnes pour aller vers d’autres découvertes déconcertantes.

Pour le reste, aucun chauvinisme liégeois de ma part. Je ne suis pas subventionné par l’office du tourisme !  Liège est une grande ville francophone. Demande-t-on à un auteur marseillais qui situe l’action de son roman à Marseille s’il veut faire la promotion de sa ville ?  S’étonne-t-on que ses personnages aient un faible pour la bouillabaisse ? Je pense que le public français se sent très à l’aise à Liège. Ce n’est pas très exotique pour lui. C’est peut-être plus le public belge, vu sa légendaire modestie, qui se demande si vraiment les Français peuvent s’intéresser à une ville belge. Je pense qu’il faut faire un sort à ce complexe d’infériorité que les écrivains belges eux-mêmes ont trop souvent cultivé.