Comme elle est bienvenue cette biographie d’Elizabeth Cochran, alias Nellie Bly (1864- 1922), pionnière du journalisme d’immersion et partant, d’investigation.
Nellie Bly? Comme dans la chanson de Stephen Foster?
Mais oui.
Dotée d’un tempérament peu commun – il en faut pour les femmes de cette époque- la fille (des quinze enfants) du juge Cochran tUSA – Pennsylvanie) subit, jeune, le décès de son père, la débâcle financière et « la honte d’un beau-père misérable et violent ». Cela explique sans conteste un besoin d’indépendance ancré dans sa prime enfance, qui jamais ne faiblira.
Que cela plaise ou non : I’m a free American girl. Tu l’as même écrit dans un article.
Alternant le tutoiement complice et la relation des événements marquants du parcours de la jeune femme, extraits de lettres et d’articles à l’appui, Nicola Attadio trace les lignes d’un destin hors normes
Engagée – au culot – comme journaliste, auprès du Pittsburgh Dispatch, quotidien de la localité où elle réside, Nellie brise les usages de la profession, n’hésitant pas à changer d’identité pour observer la réalité de l’intérieur, sur le terrain. Son ton séduit tant les lecteurs que ses patrons
Montée à New-York, elle postule auprès du World et, avec la complicité de John Cockerill, le rédacteur en chef, la journaliste se fait passer pour aliénée, sous le nom de Nellie Brown pour endurer dix jours durant les conditions dantesques de l’enfermement – on peut parler d’incarcération – des mille six cents patientes de l’asile de Blackwell’s Island. Le reportage qu’elle publie de son séjour émeut l’opinion et les autorités.
Son enquête ouvre la voie à un débat sur l’état et les qualités des établissements publics que sont les asiles d’aliénés, les prisons, les hospices
L’intrépide jeune femme n’en reste pas là, on s’en doute et décide, notamment, de faire le tour du monde en moins de quatre-vingts jours, histoire de battre l’exploit fictif de Phileas Fogg, héros du célèbre roman de Jules Verne, dévoré avec passion en son enfance.
Nellie quitte New York le 14 novembre 1889, à bord de l’Augusta-Victoria pour y revenir le 21 janvier 1890 après 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes » via les étapes qu’elle se plaît à énumérer à Jules Verne en personne qu’elle rencontre en France, au cours de son périple:
» (…)de New York à Londres, puis Calais, Brindisi, PortSaïd, Ismaïlia, Suez, Aden, Colombo, Penang, Singapour, Hong kong, Yokohama, San Francisco, New York. «
Exploit qu’elle consigne dans un ouvrage qu’on s’arrache of course mais qui lui vaudra paradoxalement une sorte de blues, de difficulté à retrouver ses marques dans un monde où le journalisme féminin reste « marginalisé »
Epousant contre toute attente,le 5 avril 1895 et des débuts de vie conjugale chaotiques, le septuagénaire industriel Robert Seaman, rencontré deux semaines auparavant à Chicago Nellie endosse peu à peu la peau d’une cheffe d’entreprise. Fidèle à ses principes, Elizabeth veille au mieux être des employés et ouvriers placés sous son autorité, au risque de flirter avec une vision utopique pour l’époque.
Las, la ruine la rattrape dès son veuvage: Elizabeth est grugée par Gilman, un ancien officier, dont elle s’éprend, le laissant impunément vider les caisses de l’entreprise de son défunt mari
Gilman meurt en février 1911. L’Iron Clad s’écroule com me un château de cartes
De retour à son métier de journaliste, Nellie est propulsée dans la Grande Guerre, qu’elle vit depuis Vienne, bientôt en porte-à-faux, par rapport à l’entrée des Etats-Unis dans le conflit
« Telle est peut-être la clef du journalisme de Nellie Bly, depuis l’époque de Blackwell’s Island : la presse n’a de sens, à ses yeux, que si elle brise le mur de l’indifférence et nous montre ce que nous refusons de voir. «
Sans oublier qu’elle demeure « une journaliste indépendante que seuls les faits engagent »
Et d’affirmer: « Je n’ai jamais écrit un seul mot qui ne vienne pas de mon cœur. Je ne le ferai jamais »
Elle réintègre New York et une société qui a enfin vu évoluer l’émancipation féminine.
Nellie Bly y aura contribué, qui s’éteint le 27 janvier 1922 d’une bronchopneumonie;
Une histoire véritablement extraordinaire
Apolline Elter
Contre vents et marées, l’histoire extraordinaire de Nellie Bly, Nicola Attadio, biographie, texte traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Ed. du Portrait, mars 2025, 184 pp