Colette gourmande

Colette gourmande

 

S’il est un trait majeur de la personnalité de Gabrielle-Sidonie Colette, c’est bien celui de la gourmandise. Laquelle, déclinée dans toutes les circonstances de la vie – quand on aime, on ne compte pas – fit valoir à l’écrivain une réputation ..sulfureuse et une mise à l’index inéluctable. Mariée trois fois, liée à Missy, marquise lesbienne qui lui fit don d’une propriété en Bretagne, Colette fut tôt élevée dans le goût des saveurs authentiques. Sido, mère aimante, craignait par-dessus tout que sa progéniture ne manquât d’une juste nourriture.

Spécialiste des formes littéraires du goût, Marie-Christine Clément s’est penchée, des années durant, sur la personnalité et l’œuvre de Colette, traquant à travers ses écrits et les précieux témoignages de Pauline Tissandier, cuisinière encore en vie fin des années ’80, les recettes les plus conformes aux propres réalisations de l’auteur.

Consacrant la première partie de l’ouvrage à une biographie riche et étayée d’extraits d’œuvres délicieusement choisis, Marie-Christine  Clément s’est ensuite assuré la complicité de son mari,  Didier Clément – le couple préside,  aujourd’hui encore, aux destinées de l’hôtel du Lion d’or de Romorantin – pour reconstituer une centaine de recettes-phares de l’écrivain, farcies, quand point trop s’en faut,  de cet ail qu’elle avait « homicide« .

Les recettes, agrémentées d’extraits d’atmosphère invitent le  lecteur à la table d’un écrivain majeur du siècle passé.

Un ouvrage riche, harmonieusement illustré de photographies d’André Martin et d’époque, véritable trésor pour illustrer les rapports entre l’écriture, la littérature et la table.

Je vous le recommande chaleureusement,

Apolline Elter

Colette gourmande, Marie-Christine et Didier Clément, Albin Michel, 1990, 3 rééditions,  208 pp, 52 €

Billet de saveurs

AE : Votre opus, Marie-Christine Clément, est né d’un coup de cœur pour l’écrivain qu’était Colette, la précision de sa prose et la justesse de ses remarques sur le goût. Comment êtes-vous venue à elle ?

Marie-Christine Clément :

Je devais préparer une thèse de doctorat sur le thème de la nourriture chez Proust. Proust est un Dieu et comme étudiante en littérature, il n’y avait qu’un écrivain digne de ce nom à étudier, lui. Mon directeur de thèses a eu l’intelligence de me dire de mettre plusieurs écrivains du début XXème siècle à mon programme de lectures avant de commencer et il se trouve que j’ai commencé, non sans quelque dédain à l’époque, par lire Colette. Dès la première page, ce fut un coup de foudre !  J’ai immédiatement ressenti sa sensualité et, au choix de son mot précis, ajusté comme une lame sur la sensation, je me suis immédiatement dit que cette femme-là savait manger. Je ne pouvais me douter alors combien j’avais raison. J’ai aussitôt perçu une expression où je retrouvais la justesse des sensations que je pouvais vivre de mon côté au quotidien, en tant que professionnelle. Colette n’est pas seulement un écrivain du goût ; elle est L’écrivain du goût, celle qui a écrit en gourmet, faisant de sa vie une dégustation de chaque instant, que ce soit une dégustation de couleurs,  de lumières, d’odeurs, d’amours, de bêtes, de nourritures, de mots… 

AE : Les recherches biographique, bibliographique, l’établissement des recettes, l’organisation de cet ouvrage, remarquablement illustré des photos d’atmosphère d’André Martin, cela a dû prendre un temps considérable :

Marie-Christine Clément : J’ai mis 3 ans pour composer cet ouvrage. Cela a été une véritable quête aussi bien qu’une enquête minutieuse. J’ai d’abord lu toute l’œuvre de Colette y compris ses nombreuses correspondances. J’ai établi à partir de ses écrits une liste de plats que j’ai ensuite soumis à Pauline Tissandier, sa fidèle cuisinière, qui était alors encore en vie et qui a bien voulu me recevoir. Nous avons passé côte à côte de nombreux après-midi autour de la table de sa cuisine et Pauline m’a confié ses petits secrets. Mon mari a ensuite écrit les recettes selon ses indications. Dans un second temps, il a fallu retrouver sa vaisselle, son linge, son argenterie. J’ai parcouru la France entière à la recherche de descendants de ses amis qui pouvaient avoir ses objets entre les mains puis j’ai consciencieusement rapporté chaque objet dans la maison qui lui seyait et ai « remis le couvert », dressé la table dans chacune de ses « provinces » comme elle disait, comme elle le faisait, à sa façon propre. L’un des plus beaux souvenirs reste la table de la Treille muscate dressée sous cette tonnelle de glycine, ce manteau de verdure devra-t-on plutôt dire, dans une lumière mordorée, magique.

AE : Vous présidez, avec votre mari, Didier Clément, aux destinées du Grand Hôtel du Lion d’Or, à Romorantin-lanthenay (www.hotel-liondor.fr), y créez-vous parfois des événements dédiés à Colette ?

Marie-Christine Clément : Nous faisons plutôt des clins d’œil réguliers à Colette. Dans l’une de nos chambres trône son portrait en cuisinière et elle fut tellement présente parmi nous en esprit qu’il ne se passe pas de jours sans que nous parlions d’elle et que nous évoquions sa gourmandise. Mais dans notre maison, mon mari présente sa cuisine, une cuisine d’auteur, qui n’a rien à voir avec la cuisine ménagère et bourgeoise de Colette qui correspond à son époque.  

AE : Rêveriez-vous d’y recevoir Gabrielle-Sidonie Colette ?

Marie-Christine Clément : Ce serait une belle gageure ! J’ai eu l’occasion de recevoir dernièrement Marie Rouanet et de dîner en tête à tête avec elle. Nous avons passé un dîner merveilleux… Marie est aussi une amoureuse de la bonne chère et une vraie bonne cuisinière. Avec Colette, je ne sais même pas si j’aurais osé m’asseoir avec elle à table. Je crois que malgré plus de dix ans passés avec elle à l’étudier, elle m’intimide encore…