La formule est liturgique, sacrificielle, le livre est menu, généreux, pétillant, bouleversant, à l’instar de son auteure, la lumineuse Charlotte de Vilmorin.
Cette dernière nous revient, neuf ans après la publication de son premier récit, Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque (Ed Grasset, 2015) que nous avions a-do-ré, tant ses propos étaient allégés d’un humour bienfaisant, voire décapant
Atteinte depuis l’enfance d’une maladie neuro-musculaire, l’alerte trentenaire se déplace en fauteuil roulant, assistée d’India, son handi-chien (ou chienne? ) et de nombreuses bonnes volontés.
« Quand vous avez besoin d’aide, vous permettez à ceux qui sont autour de vous de se donner. Et au fond, c’est pour ça qu’on est faits : se donner »
Tel est l’enjeu de ce nouveau récit et de la découverte ,le 2 novembre 2020, de la perte d’usage de ses bras, au cours d’un dîner amical.
» Je savais que cette fourchette de lasagnes resterait coincée dans ma gorge et gravée dans ma mémoire pour le restant de mes jours. Qu’il y aurait un avant et un après ce 2 novembre 2020 »
Une nouvelle donne se propose, un nouveau défi s’impose devant ce surcroît de dépendance physique et un cheminement intérieur s’entame dont Charlotte de Vilmorin va nous décrire avec clarté, lucidité et humour – mais oui, toujours – les étapes, réflexions, résolutions.
« Au fond, on pouvait se mentir autant qu’on voulait, on était tous pauvres et dépendants en puissance. Mieux valait s’y abandonner résolument pour être heureux en vérité. »
S’abandonner à Dieu? « Crucifier » son athéïsme ?
« Pendant les vingt-quatre premières années de ma vie, je n’avais pas cru en Dieu. J’y étais même carrément hostile. Pour moi la religion, surtout catholique, rendait les gens soumis, normés, coincés, et réac. »
Et le récit de se faire libération de préjugés, rencontres humaines constitutives, chemin de conversion et d’un engagement spirituel et social en tant que vierge consacrée.
La sérénité recouvrée n’empêche pas l’hyperactive entrepreneuse de se lancer dans le concept Newav après avoir cédé la société Wheeliz gérée pendant sept ans
Une lecture hautement recommandée,
Une certaine voix de liberté et une voie certaine de bonheur
Ou le contraire, mais c’est tout bon aussi.
Apolline Elter
Ceci est mon corps, Charlotte de Vilmorin, récit, Ed. Grasset, mars 2024, 160 pp
Billet de ferveur
AE India, votre chienne vit à vos côtés et une relation forte s’est instaurée entre vous puisqu’elle dévore votre récit au même titre que ses croquettes. Quand l’avez-vous accueillie ? En quoi vous assiste-t-elle concrètement dans votre quotidien ?
Charlotte de Vilmorin: India est une chienne d’assistance qui a été formée par l’association Handichiens pour pouvoir aider une personne à mobilité réduite (comme moi) dans des gestes du quotidien. Cela fait maintenant 9 ans qu’elle m’accompagne partout, tout le temps, dans mes déplacements, au supermarché, au cinéma, au bureau… Elle est aux premières loges de toutes mes péripéties. Concrètement elle me permet de faire des gestes que je ne peux pas faire. Elle est mes bras en quelque sorte. Par exemple elle peut ouvrir la porte quand quelqu’un sonne, allumer la lumière, ramasser un objet que j’ai fait tomber et me le poser sur les genoux… C’est une véritable aide pour mon autonomie, car elle peut tout à fait accomplir des gestes pour lesquels j’ai besoin d’aide mais qui ne nécessite pas la présence d’une tierce personne en permanence à mes côtés pour autant. Elle me permet de pouvoir vivre des moments de solitude dont j’ai beaucoup besoin, sinon je serais tout le temps accompagnée, ce qui serait assez pesant pour moi. Elle est aussi un véritable brise-glace dans le premier contact avec les gens qui pourraient être mal à l’aise face au handicap. Grâce à elle n’est plus un sujet de gêne.
AE: Vous affirmez aussi « que si on me proposait une baguette magique pour pouvoir marcher, je ne suis pas sûre que j’accepterais, parce que je pense que mon handicap est vraiment indissociable de ma personnalité, et qu’il m’a forgée d’une certaine manière. » C’est d’une force inouïe de penser cela. On croit entendre Nietzsche ou … Johnny Halliday « Ce qui ne tue pas nous rend plus forts ». C’est le résultat d’un long processus d’acceptation et non de résignation.
Charlotte de Vilmorin:Disons que pour moi, toutes les limitations que m’impose mon corps sont normales, car je n’ai jamais connu autre chose. Elles sont donc complètement intégrées à ma construction psychologique. Je suis convaincue que le handicap permet de développer de véritables traits de personnalité, notamment le fait de savoir très vite rebondir devant les obstacles. Quand vous êtes en fauteuil et que la moindre marche, le moindre ascenseur en panne, vous empêchent d’accéder où vous aviez prévu d’aller, vous avez intérêt à vite savoir canaliser votre énergie sur ce qui en vaut la peine, c’est-à-dire ce sur quoi vous pouvez avoir un impact, sinon vous passeriez votre temps à vous épuiser. Sans pour autant idéaliser le handicap et la maladie qui comportent leur lot de souffrance que je ne nie pas, je pense néanmoins que cela m’a permis d’apprendre à être patiente, résiliente, et très adaptable. Alors je peux bien accepter de renoncer à faire de la trottinette non ?