La visite de l’exposition que La Piscine de Roubaix consacre à Camille Claudel –Au miroir d’un art nouveau– à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, nous a donné l’envie irrépressible de relire la fabuleuse biographie que Dominique Bona dédie au duo passionnel qu’elle forme avec son frère, l’écrivain Paul Claudel (Ed. Grasset, 2006). Je vous engage vivement à visiter l’une – vous avez jusqu’au 8 février – et dévorer l’autre ( désormais parue en édition de poche)
Née le 8 décembre 1864 à Fère-en-Tardenois, Camille Claudel voue, dès la tendre enfance, une affection profonde, nourrie de complicité et d’un même caractère « éruptif », au « petit Paul », son cadet de quatre ans. Entre les deux, Louise, née en février 1866, ne trouve pas sa place; par contre, elle bénéficie de la préférence affichée de sa mère, Louise – Athénaïs Cerveaux, dont elle partage le prénom.
En retrait – et manque – d’affection maternelle, Camille et Paul forgent des liens solidaires.
Louis-Prosper Claudel, le père, découvre rapidement les talents conjugués de Camille pour la sculpture, Paul, pour l’écriture. Il décide d’emmener la famille à Paris, au dam de son épouse qui lui préfère sa province natale, regrette de la sacrifier à l’ambition de ses enfants.
« Camille ne sera jamais la Galatée de Rodin, une marionnette docile, malléable comme de la glaise – attitude qui lui est par nature étrangère »
On situe vers 1882 la rencontre initiale d’Auguste Rodin et de Camille Claudel. Le Maître a 42 ans, une maîtresse attitrée, Rose Beuret et un fils naturel, Auguste, auquel il ne consent que son prénom; Camille n’a que 18 ans.
Une liaison faite d’apprentissage, d’admiration mutuelle et d’échanges intenses s’amorce qui prive Paul de la relation exclusive qu’il entretient avec sa soeur. S’il a, bien sûr, une place prépondérante dans la formation de Camille, Auguste Rodin lui permet surtout de sublimer un savoir-faire déjà existant, de se révéler à elle-même. De son côté, Auguste Rodin, voit son inspiration se « sensualiser » au contact de Camille.
Le vide -relatif- laissé par Camille se comble pour Paul d’une double révélation: celles de la poésie rimbaldienne et de la Vierge Marie, qui ancre profondément sa foi. Il se choisit une carrière consulaire qui lui permet de fuir Paris et le propulse en Amérique, Chine, Brésil, Allemagne… nourrissant son imaginaire de découvertes multiples, accentuant, au fil des ans, le décalage avec la vie sédentaire, solitaire, précaire, de sa soeur. Carrière aidant, il sera fait ambassadeur au Japon, Etats-Unis et … à Bruxelles.
C’est Camille qui décide, vers 1893 de quitter Rodin, – elle a compris qu’il ne se séparerait jamais de Rose Beuret. Mais elle ne surmontera pas cette rupture, s’enfonçant dans la solitude de son atelier, les ennuis financiers, les maux, la saleté et peu à peu, dans un délire paranoïaque, dirigé contre son ancien amant. Cette déchéance lui vaudra un internement de 30 ans, du 10 mars 1913 à la fin de sa vie, en septembre 1943.
Si l’on a vertement tancé son entourage direct – sa mère, Paul et Louise – d’avoir prescrit l’internement pour se débarrasser en quelque sorte de la peur et de la honte qu’elle lui inspire, il faut reconnaître que le caractère redoutable de Camille ainsi qu’une vraie atteinte pathologique les y avaient invités; par contre, ils auraient pu écourter son séjour et lui permettre un commerce épistolaire un peu plus salutaire.
Se penchant avec sa finesse coutumière, sur le destin passionné et conjoint – malgré les aléas de l’existence – d’une soeur et d’un frère, hors du commun , Dominique Bona nous livre une somptueuse biographie et des clés utiles à la compréhension d’une artiste complexe. Une artiste dont la réhabilitation doit attendre les années 80 – son entrée au Petit Larousse date de 1989… – et la passion, notamment, d’une petite nièce, Reine-Marie Paris.
Laissons à Dominique Bona le sublime mot de la fin:
« Claudel, ce nom glorieux, a désormais deux visages »
Apolline Elter
Camille et Paul – La passion Claudel, Dominique Bona, biographie, Ed Grasset, 2006, 410 pp
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