Il est des lectures – elles sont rares – qui vous saisissent d’une telle émotion, d’une telle justesse de ton que vous vous ne vous sentez pas à la hauteur de leur compte rendu.
C’est le cas de Bakhita, le roman vrai de Véronique Olmi, sans doute le plus accompli, qui trace, qui épouse la vie de » Giuseppina Bakhita », (1869(?) – 1947) ‘une esclave soudanaise, sanctifiée en 2000, sous le pontificat de Jean -Paul II
Née à Olgossa, au Darfour, vers 1869, « Bakhita » – qui ne porte pas encore ce prénom – est soudain arrachée aux siens par des négriers musulmans pour être vendue comme esclave. Elle a sept ans, à peine, et se voit confronter à la cruautéà la violence extrême d’une humanité qui ne mérite pas ce nom. Si elle s’attache – à d’autres enfants – on les lui arrache. Elle n’est qu’objet de tractations, subissant son inconsciente beauté comme le joug d’une malédiction.
Et puis un jour de 1883, la vie de l’adolescente change:
« Elle est achetée pour la cinquième fois, achetée par un homme qui s’appelle Calisto
Legnani, consul italien à Khartoum. Et cet homme Va changer le cours de sa vie. »
Une vie qui se poursuit en Vénétie – après quelques péripéties – Bakhita est offerte à une famille amie. L’Italie ne pratique pas l’esclavage – Bakhita est donc affranchie; mais elle n’en est pas moins asservie. Alors lorsque frappée par la révélation de Dieu, par l’amour vrai d’une famille, celle de Stefano, Clémentine et leurs cinq enfants et celui de la Madre Marietta Fabretti , religieuse canossienne de l’Institut des Catéchistes de Venise, Bakhita demande à sa Patrona Maria Michiali , de la libérer de ses obligations, d’adhérer à la congrégation canossienne, elle se voit infliger un véritable procès.
Elle le gagne, dévastée, le 29 novembre 1889, s’arrachant à Miammina, l’enfant des Michiali dont elle avait la garde et la suprême affection . Désormais sa vie se consacre au service de Dieu. Elle est baptisée Gioseffa et plus familièrement Giuseppina et prononce bientôt ses vœux.
« Elle a vingt-quatre ans et elle a beau suivre le même enseignement, dire les mêmes prières, communier,
confesser et porter le même uniforme que les autres, elle n’est pas comme les autres. Elle est à part. Et pour toujours Pour elle, on fera toujours une exception. On demandera une dérogation. On hésitera à I’accepter ou, au contraire, on s’en félicitera bruyamment »
Une fresque d’une rare puissance narrative, mélodieusement rythmée par l’effet d’un style sobre, cadencé de phrases courtes, saccadées, qui n’endigue l’émotion que pour mieux la révéler.
Un roman majeur de la rentrée littéraire, je vous le certifie
Apolline Elter
Bakhita, Véronique Olmi, roman, Ed. Albin Michel, août 2017, 460 pp
Billet de ferveur
AE : Véronique Olmi, Qu’est-ce qui vous a conduite à Bakhita ?
Véronique Olmi : Il y a deux ans, un dimanche d’été, je suis rentrée dans la petite église du village de Langeais, en Touraine. Il y avait, exposé, le portrait de Bakhita, que je ne connaissais pas, avec quelques dates qui situaient à peu prés sa vie. Je travaillais alors à un autre roman. Mais rentrée chez moi, j’ai tout jeté. J’ai décidé sur le champ, d’écrire la vie de Bakhita. J’ai pris ma vieille vieille voiture, et de la Touraine je suis allée en Vénétie, sur ses traces… Ainsi a commencé cette aventure… Cette écriture.
AE : Vous vous êtes rendue, à Venise, auprès de sœurs canossiennes :
Véronique Olmi : Oui. Et à Schio, et Vimercate, tous les lieux importants qui sont cités dans le livre. Il y a encore beaucoup de couvents de Canossiennes en Italie. Mais pas seulement. Il y en a un à Lourdes. Et des missions en Amérique latine, au Canada, à Hong Kong, en Afrique.
AE : On ne sort pas indemne d’un tel récit : une telle succession d’arrachements, la malédiction de la beauté, sa mutilation et au bout du chemin, la reconnaissance de la sainteté. Faut-il vraiment « ne s’attacher à personne, sauf à Dieu ? «
Véronique Olmi : Dans le livre Bakhita n’obeit pas à cette injonction. Elle dit « Les hommes sont divins mais ils ne le savent pas. » Elle aimait les êtres humains à travers Dieu, qu’elle appelait « EL paron ». « Le patron » en dialecte vénitien. Elle aimait les enfants, dont elle s’est occupée toute sa vie.
Lundi 18 septembre, à 20 heures, au théâtre des Mathurins ( Paris VIIIe)
Véronique Olmi et Julia Sarr opéreront une lecture musicale de Bakhita, mise en espace par Anne Rotenberg . Une soirée qui se profile d’exception
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