Je vous le déclare d’emblée: ce roman est un bijou de lecture.
De bienfaisance.
A cette mère de 93 ans, dont la vie s’étrécit comme cette « Peau de Chagrin » balzacienne dont elle réclame sans cesse la lecture à son fils, le narrateur, ce dernier adresse le plus poignant des hommages
Et cela fait grand bien.
Veuve de longue date et gratifiée de l’éducation de ses cinq fils, émigrée marocaine, illettrée, cette mère-veilleuse apprend le français » à coups de claques et d’humiliations » .
Et de cette humilité à tout crin, de cette bienveillance constante qui est son ADN jaillit le portrait d’une belle âme, d’une grande dame
Un portrait émouvant, tendre, intime, sobre, subtilement mâtiné d’humour et de la relation de scènes cocasses.
On a juste envie de remercier l’auteur de pareil récit..
Celui d’une intégration courageusement réussie.
Et ceux qui vous le feront découvrir..
Apolline Elter
Ainsi parlait ma mère, Rachid Benzine, roman, Ed. Seuil, janvier 2020, 96 pp
Billet de ferveur
AE : vous situez le récit en Belgique- c’est un honneur pour nous. Vous avez enseigné à l’Université catholique de Louvain
Rachid Benzine: J’ai voulu situer ce roman en Belgique pour dire Merci à ce pays. qui m’a accueilli les bras ouverts depuis quelques années pour les conférences, les cours mais aussi le théâtre. Mes deux premières pièces ont réalisées grâce à Serge Rangoni et le théâtre de Liège où je suis devenu compagnon. J’ai donné quelques cours dans plusieurs institutions dont notamment l’UCL.
AE : Ce roman résonne à ce point « vrai » qu’il paraît autobiographique. Quelle en est la part ?
Rachid Benzine Il l’est dans le sens où les émotions que nous ressentons devant la vieillesse de nos parents, et devant la peur de les voir partir, nous sont communes. J’ai voulu à travers ce récit poser la question de notre rapport à nos vieux, et celle de la façon dont nous apprivoisons (ou pas) cette peur. Mais les personnages que j’ai mobilisés pour parler de cela sont fictifs : leur histoire, leur parcours, ne sont que les moyens par lesquels on peut raconter ce que nous avons envie de transmettre. C’est en cela que la fiction est puissante : elle convoque à la fois l’imagination, pour créer une histoire, et nos ressources les plus intimes, pour rejoindre les lecteurs dans des émotions que nous avons en partage
AE : s’il démontre, avec humour la plupart du temps, la « fracture culturelle » qu’incarne cette mère, il prouve aussi sa courtoisie à tout crin envers le pays qui l’accueille et partant la pleine intégration de sa progéniture
Rachid Benzine :. Le narrateur a une passion pour les livres et c’est à travers la littérature « Peau de chagrin » de Balzac que se tisse le lien le plus fort entre le fils et la mère. Il a réussi à devenir professeur de Littérature à l’UCL. Il est un transfuge de classe
« Les transfuges de classe ont toujours le cul entre deux chaises. (…) la douleur muette que vous donne ce sentiment ineffaçable d’être un traiter à votre propre famille. À celles et à ceux qui vous sont les plus chers. Et qu’inconsciemment et patiemment vous avez appris à mépriser »
Il ne cache courageusement rien de la honte qu’a pu lui inspirer cette mère durant son enfance. Il avait honte de l’accent de sa mère quand celle-ci tentait d’apprendre quelques phrases pour les répéter devant ses professeurs. Il sait aussi dire la honte actuelle d’avoir eu honte de sa mère. Les enfants d’immigrés lorsqu’ils réussissent, sont écartelés entre la fierté, et la culpabilité d’avoir trahi leur milieu… « La culture scolaire exclut autant qu’elle intègre et les parents étrangers en sont les premières victimes.«
Cette mère , malgré les souffrances et les humiliations subies, elle n’en a pas fait une identité contrairement à beaucoup aujourd’hui qui font de leurs souffrances une identité. Et ceci n’est pas valable uniquement pour les enfants d’immigrés.
Chers visiteurs : Je vous invite également à découvrir le site Facebook de Rachid Benzine et le feuilleton journalier qu’il publie à notre intention de confinés : Je suis tout de même pas parano…
Merci Rachid Benzine pour ce carburant quotidien : nous en avons besoin
Quel livre magnifique ! Difficile de ne pas être très émue…
Comme je vous comprens: j’étais bouleversée, mou aussi, et reconnaissante à Rachid Benzine d’alléger le propos par quelques touches d’humour tendre