Grand et tendre ami de Louise de Vilmorin, René Clair lui écrit ses impressions de lecture, à la parution de son roman Migraine ( Ed. Gallimard, juin 1959)
On s’accrodera à penser que c’est joliment tourné…:
22 juillet 59.
Ma Louise,
Je voudrais t’écrire longuement de Migraine. Je n’ai pas le temps. Et puis, entre nous, c’est difficile. Il me faudrait ton style. Tout ce que je pourrais faire de mieux, ce serait de te citer. J’avais emporté ton livre en voyage. Certaines phrases, après les avoir lues, je me les suis récitées, comme on reprend une goutte d’un vin délicat, non pas pour- boire mais pour en faire épanouir le bouquet. Et mes compagnons de train devaient se demander pourquoi j’avais l’air ravi. C’est que j’étais entré dans ton monde, c’est-à-dire dans ce jardin surréel où les fleurs naissent et s’évanouissent à ton gré, où les plantes ont des racines qui vont très loin dans le passé de notre tradition poétique.
Comme les yeux de ton héroïne, tu plais aux blonds par ta pénombre et aux bruns par ta clarté. Je me sens tour à tour, en te lisant, brun et blond.
Je t’embrasse
René. (…)
– Louise de Vilmorin – Correspondance avec ses amis, Edition établie, annotée et commentée par Olivier Muth, Ed. Gallimard- Le Promeneur, avril 2004, 548 pp