Pudeurs et colères de femmes

Week-end spécial -Pudeurs et Colères de femmes

L’ exposition Pudeurs et colères de femmes, organisée à la  Villa Empain (Fondation Boghossian –  Bruxelles) lève le voile sur le thème de la pudeur –  féminine – ses origines historiques et contextes philosophiques. Sur les révoltes face à certains regards portés sur la condition féminine. 

Une vingtaine de lecteurs du magazine L’Evénement ont eu le privilège d’une visite guidée de l’exposition, ce jeudi 24 mars, par Diane Hennebert, Chargée de Direction de la Fondation Boghossian et Commissaire de l’exposition. A la connaissance aigüe de la Villa Empain dont elle a orchestré la somptueuse restauration et des artistes contemporains – des femmes majoritairement – dont les oeuvres jalonnent le parcours dûment étudié de l’exposition, s’ajouta le feu d’une passion..éminemment contagieuse.

Black Oracle.jpg(Photo : Black Oracle – Maimouna Guerresi – 2009 )

Boghossian 035.jpgL’exposé de Diane Hennebert (photo ci-contre) commença par une présentation biographique de Louis Empain (fils « reconnu » d’Edouard, fondateur de la dynastie éponyme) et de la Villa. Idéaliste et épris de sobriété, le jeune baron constitue, avec la construction de la Villa Empain – commandée en 1930 à l’architecte Michel Polak – un subtil compromis entre la simplicité des lignes architecturales et l’ostentation d’une villa cossue, rendue flagrante par la dorure de ses corniches. Emménageant dans la villa, en 1934, il ne parviendra cependant pas à y trouver l’intimité recherchée. Il est alors envoyé au Canada par sa famille,  qui apprécie modérément ses idées gauchisantes,  et y fonde une cité-modèle – le Domaine de l’Estérel – qui, largement influencée par l’esthétisme du Bauhaus, proposera des loisirs à des familles défavorisées.  Marié à une autochtone, il cèdera la Villa Empain à l’Etat belge, sous réserve expresse, d’y constituer une Maison d’Arts décoratifs. Réquisitionnée et occupée par l’Armée allemande en 1943, la Villa Empain sera ensuite affectée à l’URSS au titre d’ambassade. C’était  faire fi des conventions établies avec le Baron Empain. Ce dernier exigera alors  la restitution progressive de son bien – pas question de mettre l’URSS à la porte et d’engendrer de la sorte une crise diplomatique – pour le vendre  à un industriel du tabac d’origine arménienne, établi aux USA, un certain Tcherkezian. Lequel louera  la Villa à la chaîne de radio – TV, RTL. Si les lieux n’étaient guère adaptés à cette fonctionnalité, ils ne subirent alors que des dégâts d’usure normale. Ce ne fut pas le cas de l’occupant suivant – nous en tairons le nom – qui dégrada le site de la façon la plus iconoclaste possible… C’est donc un bien squatté, envahi de mérule, sinistre et sinistré que la Fondation Boghossian acquiert en 2006 pour y entreprendre une rénovation magistrale dans le pur respect de son originelle beauté. Coût de l’opération : 7 millions d’euros dont deux millions couverts par des subsides.

Pudeurs et colères de femmes

A l’origine de l’exposition,  une réflexion sur le paradoxe qui sévit en notre société occidentale:  nous affichons une plus grande réticence vis-à- vis de la femme voilée que de celle qui expose  sa nudité. Le débat valait d’être ouvert et élargi : une trentaine d’artistes orientaux et occidentaux – dont la Belge Arlette Vermeiren – déclinent, d’oeuvres tantôt graves, émouvantes, poignantes tantôt facétieuses, toujours chargées de sens, les facettes infinies du regard posé sur la femme.   

Agn%C3%A8s+Sorel+vierge.jpgLe tableau de Jean Fouquet (1420-1480) , La Vierge à l’enfant entourée d’anges, réalisé au départ du portrait d’Agnès Sorel – sorte de barbie, version XVe siècle – , définit les canons de beauté et de bienséance pour plusieurs générations. La nudité sera ainsi tolérée jusqu’au XIXe siècle pourvu qu’elle s’assortisse d’une absence totale de cheveux et poils de tous bords.

 

 Boghossian 030.jpgLe hall d’entrée de la Villa Empain propose un défilé magistral:  trois résines de la célèbre artiste ORLAN  figurant des robes sans corps, sorte d’aboutissement d’une réflexion sur la violence faite au corps des femmes. On se souvient des expériences de chirurgie-performance que l’artiste avait fait réaliser sur son propre corps (se faisant notamment greffer des cornes) au début des années ’90.

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Photographie de la Russe Aïdan Salahova

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Madre Minerato ( Maimouna Guerresi – Italie)

Boghossian 043.jpgBoghossian 044.jpgCoïncidence flagrante et atemporelle des portraits-masques  de Catherine Deneuve et de Nefertiti  –  oeuvres du photographe égyptien Youssef Nabil.

 

 

Boghossian 047.jpgCiment acrylique de Joanna Vasconcelos dont la position triomphale – elle évoque la proue d’un navire – est  grillagée de fil crocheté : une subtile confrontation de la puissance et de la fragilité. L’artiste a reçu carte blanche pour une exposition prévue au château de Versailles en 2012.

Fil conducteur de l’exposition: l’ambiguïté de l’attention portée aux éléments prétendûment cachés de l’apparence féminine.

Les foulards de la Maison Hermès, oeuvres capillaires du très jeune perruquier Charlie Le Mindu, gouaches sanglantes de Louise Bourgeois, voile de mariée d’Arlette Vermeiren couronné de barbelé, Vierge de Sèvres d’Hubert Barrière, …jusqu’à la série domestique des Like Everyday de l’Iranienne Shadi Ghadirian, qui superpose au tchador des objets ménagers (fer à repasser, louche, crochet de portemanteau…) masquant intégralement le visage, constitueront des arrêts obligés au sein d’un parcours d’exposition magistralement orchestré.

La visite se conclut, bien au-delà de l’heure prescrite, par une plongée, depuis le balcon ensoleillé de l’étage, sur la grande piscine du jardin  , jouxtée d’une conciergerie qui accueillera, dès le mois prochain,  4 à 5 résidents (artistes, etc..) invités par la Fondation ainsi qu’un centre de documentation.Boghossian 053.jpgBoghossian 054.jpg

 

 

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L’occasion pour Diane Hennebert d’insister sur le signal fort qu’offre à notre société occidentale – individualiste –  le mécénat pratiqué par la famille Boghossian via une fondation à laquelle elle affecte la moitié de sa fortune (voir précédent billet sur ce blog, ainsi que, sur la site de la Villa Empain, la présentation Robert, Jean et Albert Boghossian, joailliers libanais d’origine arménienne)

Je vous recommande vivement la visite de l’exposition.

Vous avez jusqu’au 25 septembre….

Apolline Elter

Villa Empain – Av. Franklin Roosevelt, 67 – 1050 Bruxelles – Tél : 02.627.52.30

www.fondationboghossian.com