Premier roman de Muriel Barbéry (L’élégance du hérisson) Une gourmandise est publié en 2000, chez Gallimard, traduit en 12 langues et truffé de prix littéraires.
Le lecteur assiste aux dernières quarante-huit heures du narrateur, monarque absolu de la gastronomie. L’action, si l’on peut dire, se déroule, dans un immeuble, rue de Grenelle, dont la concierge se prénomme Renée… L’agonie du narrateur évoque celle de Monsieur Arthens (L’élégance du hérisson) ; elle est annoncée par le même Docteur Chabrot….
Quoi qu’il en soit, le propos de l’ouvrage est une quête, rendue urgente par le délai annoncé, d’une sensation gustative enfouie dans la mémoire du narrateur: « Je vais mourir et je ne parviens pas à me rappeler une saveur qui me trotte dans le cœur. Je sais que cette saveur-là, c’est la vérité première et ultime de toute ma vie, qu’elle détient la clef d’un cœur que j’ai fait taire depuis. Je sais que c’est une saveur d’enfance ou d’adolescence, un mets originel et merveilleux avant toute vocation critique, avant tout désir et toute prétention à dire mon plaisir de manger. Une saveur oubliée, nichée au plus profond de moi-même et qui se révèle au crépuscule de ma vie comme la seule vérité qui s’y soit dite- ou faite. Je cherche et je ne trouve pas. »
« Plus rien n’a d’importance à présent. Sauf cette saveur que je poursuis dans les limbes de ma mémoire et qui, furieuse d’une trahison dont je n’ai même pas le souvenir, me résiste et se dérobe obstinément »
Suprématie de la langue, le style affiche une densité que l’on retrouvera, quelque peu allégée – et ce n’est pas plus mal – dans « L’élégance ».
« Il y a dans la chair du poisson grillé, du plus humble des maquereaux au plus raffiné des saumons, quelque chose qui échappe à la culture. C’est ainsi que les hommes, apprenant à cuire leur poisson, durent éprouver pour la première fois leur humanité, dans cette matière dont le feu révélait conjointement la pureté et la sauvagerie essentielles. Dire de cette chair qu’elle est fine, que son goût est subtil et expansif à la fois, qu’elle excite les gencives, à mi-chemin entre la force et la douceur, dire que l’amertume légère de la peau grillée alliée à l’extrême onctuosité des tissus serrés, solidaires et puissants qui emplissent la bouche d’une saveur d’ailleurs fait de la sardine grillée une apothéose culinaire, c’est tout au plus évoquer la vertu dormitive de l’opium. Car ce qui se joue là, ce n’est ni finesse, ni douceur, ni force, ni onctuosité mais sauvagerie. Il faut être une âme forte pour s’affronter à ce goût-ci ; il recèle bien en lui, de la manière la plus exacte, la brutalité primitive au contact de laquelle notre humanité se forge. »
Les descriptions de plats sont des sommets de littérature gourmande, tantôt d’une précision chirurgicale, tantôt sensuelles et érotiques jusqu’à l’orgasme.Et l’on poursuit avec une avidité salivaire ce voyage gastronomique dans la vie du narrateur, ponctué de chapitres où la voix du narrateur est relayée par celles des membres de son entourage.
Le dénouement surprend le lecteur, l’oblige à une réflexion insolite sur la légitimité de l’académisme gastronomique.
A lire ou redécouvrir, sans hésiter !
Apolline Elter
Une gourmandise, Muriel Barbery, roman, Gallimard, 2000 (rééd. Folio n° 3633)
Du samedi 30 octobre au dimanche 7 novembre: semaine thématique dédiée à la gourmandise littéraire.
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