« Grecs, Italiens, Arméniens, Syro-Libanais…Nous avons quitté l’Egypte en masse au début des années 1960. De notre propre gré, sur la pointe des pieds. « Sans tarbouche ni trompette », comme l’écrit Michel dans son journal. »
De retour, le temps d’un séjour, en son Caire natal, Charles, le narrateur, revit les moments d’une jeunesse dorée, les joyeuses molokheyas dominicales à la table de son grand-père Georges bey Batrakani, par le biais de ses souvenirs et du journal intime de son oncle – et parrain – Michel.
Dispersée, exilée au Liban, en Suisse, en France,.. après l’arrivée de Nasser au pouvoir, le déclin de la prospère entreprise familiale de tarbouches et le décès du patriarche, la famille Batrakani a concédé à Dina, veuve d’Alex, l’occupation de sa villa. Avec une élégance et une jeunesse que ne démentent ses quelque soixante printemps, celle-ci y organise régulièrement des réceptions où se côtoie le « Tout-Caire » cosmopolite. Elle est heureuse d’y présenter Charles, son neveu, chargé, par ailleurs, d’une mission délicate…
Ecrit d’une plume claire, fluide, avenante, sobrement pétillante, le roman de Robert Solé équilibre harmonieusement la relation du temps présent, celle des souvenirs et les extraits du journal de Michel. Une relation, qui par la magie du verbe et d’une sagesse certaine, se voit lumineusement apaisée.
» Il y a dans nos familles d’exilés beaucoup d’affabulateurs et d’amnésiques. Les premiers racontent leurs châteaux en Egypte, se persuadant qu’ils vivaient au paradis sur un grand pied. Les seconds n’en finissent pas d’effacer les traces de leurs pas, mais ils oublient parfois d’oublier, et tôt ou tard, le passé finit par les rattraper. »
Un roman-phare de la rentrée littéraire dont je vous recommande vivement la lecture.
Apolline Elter
Une soirée au Caire, Robert Solé, roman, Seuil, août 2010, 210 pp, 17 €
Billet de faveur
AE: Robert Solé, Cette soirée au Caire et le séjour qui l’entoure permettent au narrateur d’opérer le « deuil différé » d’une enfance et d’une Egypte qui a fort changé. On ne peut s’empêcher d’y voir une nette connotation auto-biographique. Quelle part aurait-elle ?
Robert Solé: Disons que Charles, le narrateur, me ressemble (et se distingue de moi) comme un frère. Moi aussi, j’ai connu une longue période d’amnésie volontaire avant de renouer avec l’Egypte. Mais, contrairement à lui, je me suis réconcilié avec le pays de mon enfance grâce à mes livres. « Une Soirée au Caire » est un roman, avec des personnages imaginaires, même si cette famille aurait pu être la mienne.
AE: Personnage central et particulièrement attachant du roman, Yassa, le chauffeur du grand-père, le sage, l’homme des proverbes et du Maalech (« Ce n’est pas grave ») semble incarner l’Egypte éternelle, réconcilier l’Egypte révolue, d’hier avec celle d’aujourd’hui. Est-il un marginal?
Robert Solé: Yassa n’est nullement un marginal. C’est un Egyptien de souche, « Egyptien à deux cent pour cent » comme dit le narrateur. Mieux qu’un intermédiaire, Yassa est un trait d’union : entre Egyptiens et étrangers, entre le passé et le présent.
AE: Votre roman révèle la richesse ethnique et confessionnelle de l’Egypte. Pourtant le narrateur ne s’y sent plus chez lui. Il est amené à tourner la page du passé. Est-ce un roman de l’apaisement?
Robert Solé: Oui, on peut parler d’apaisement. Constatant que l’Egypte d’hier n’était pas totalement un paradis, le narrateur est soulagé en quelque sorte. Il prend conscience que « le passé est passé », comme le lui a fait remarquer Amira. Il cessera de vivre les yeux collés au rétroviseur.
AE: Cette molokheya qui rythme vos tablées familiales, est-ce votre madeleine de Proust?
Robert Solé: J’ai plusieurs madeleines, parmi lesquelles la douceur du soir en Egypte. Mais elles ne « fonctionnent » pas toutes. Je n’ai jamais retrouvé, par exemple, l’odeur de la mer à Alexandrie. Est-ce la mer qui a changé ? Ou moi ?
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