» Mes choix étaient souvent dictés par le hasard des rencontres, la conjonction de ma destinée et des faits historiques. Mais je cherchais rarement à lutter contre le courant et préférais me laisser porter sans pour autant couler. »
Echoué à Paris durant la seconde guerre, après avoir quitté l’île anglo-saxonne de Manderney que sa famille régente sur le mode féodal, Guillaume Berkeley se compromet avec les dignitaires allemands et les plus abjects milieux collaborationnistes.
« Depuis l’installation des Allemands à Paris, je vivais dans un confort délicieux et aveugle, attentif à ne jamais trop regarder, soucieux de conserver mes oeillères de jeune homme qui n’allait point dans le sens de l’histoire mais dans celui du moment. »
Jusqu’au jour où, retrouvant, Pauline, un amour avorté, il décide d’endosser le manteau de la résistance et de cacher des familles juives en transit, dans l’appartement qu’il occupe au quai de Conti. Funambule d’un double jeu risqué, il lui faut rester dans l’oeil du cyclone, et s’afficher avec les factions notoirement antisémites.
L’après-guerre ne lui pardonnera pas ces …fidélités successives, qui le condamnera à la prison à vie.
Extrêmement documenté sur cette noire période de la guerre, les privations, les délires et dérives de la collaboration, le roman de Nicolas d’Estienne d’Orves pousse à bout la lâche logique de l’antisémitisme, celle du double jeu et de comportements machiavéliques. L’écriture est belle, fluide, rythmée et maîtrisée qui fait de ce roman une des toutes belles parutions de la rentrée littéraire
Apolline Elter
Les fidélités successives , Nicolas d’Estienne d’Orves, roman, Albin Michel, août 2012, 718 pp, 23,9€
Billet de faveur
AE: Nicolas d’Estienne d’Orves, qu’est-ce qui vous a poussé à opérer cette plongée hallucinante dans le Paris de la Collaboration?
Nicolas d’Estienne d’Orves: je porte le nom d’un des pionniers de la Résistance, ce qui explique une partie de mon « pedigree » et de ma passion pour cette terrible période. Mais j’ai toujours aimé connaître l’autre côté des choses: c’est à dire leur part d’ombre, de mystère, de douleur. Voilà pourquoi l’attitude des collaborateurs français m’a toujours intrigué. J’ai fait des recherches universitaires sur les journalistes pendant l’occupation, et en particulier sur Rebatet. Cela m’a permis d’avoir accès à des archives inédites qui m’ont inspiré ce roman que je voulais avant tout comme une grande fresque romanesque.
AE: Picasso a-t-il vendu des croquis à des officiers SS ?
Nicolas d’Estienne d’Orves: pas que je sache. Mais il n’était pas à un paradoxe près…
AE: Certains scenarii sont à ce point machiavéliques qu’on en a le souffle coupé. Je pense spécialement au réseau Gabriel. Repose-t-il sur des faits réels?
Nicolas d’Estienne d’Orves: j’espère que non! Mais la période était si ambigüe, si complexe, que la fin justifiait parfois tous les moyens, fussent-ils les plus atroces!
AE: La longue confession que constitue le roman rend Guillaume, l’anti-héros, plutôt attachant, observateur d’un monde mauvais plutôt que vrai acteur. Un détachement qui semble faciliter la fluidité de la narration….
Nicolas d’Estienne d’Orves : il était pour moi essentiel de ne surtout pas écrire un roman ou thèse, encore moins moralisateur. J’ai pour maxime celle de Simenon: « comprendre et ne pas juger »J’’ai essayé de décrypter les mécanismes psychologiques de mes personnages, sans jamais leur donner une couleur morale. Sinon on sort du romanesque pur pour entrer dans la leçon d’histoire. Et je refuse de juger le passé avec les critères du présent…
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