« Le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien. »
C’est un roman fort de la rentrée de septembre
Directement inspirée de l’attentat terroriste de Saint-Etienne de Rouvray, le 26 juillet 2016, qui coûta la vie au père Jacques Hamel, la fiction – si l’on peut dire – donne vie et voix à chacun des protagonistes du drame.
Les chapitres se succèdent, qui tressent chaque destin, chaque moteur de vie depuis son for intérieur.
Et le résultat est grandiose
La crise identitaire que vit David Berteau, fils adoptif de Laure et François, des parents comme il faut, bienveillants sous tous les rapports, le ramène à ses origines maghrébines
Celle d’Hicham, immigré de deuxième génération, frais sorti d’un séjour en prison, à l’image de parents qu’il juge humiliante
Tous deux sont proie de choix pour rejoindre la « communauté, soudée, cohérente, forte » d’un certain Islam et de sa redoutable hijrah
A leurs côtés – par la séquence des chapitres et le rendez-vous ultime du massacre – les figures attachantes du Père Georges (Tellier) et de la soeur Agnès , deux ordonnés séculiers, nantis d’une foi simple, sincère, altruiste et pragmatique.
Une foi ouverte au monde, à ses tentations, à ses implications :
« Peut-on être un saint sans Dieu, c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui. » Le monde moderne était peut-être en train de régler le problème posé par Camus. Des associations s’occupaient des mal-logés, des migrants, des malades, des « damnés », aurait dit le philosophe ; elles œuvraient, sans avoir recours à une explication spirituelle de leur altruisme. Plus de charité, de serviteur, de salut des âmes, mais l’intuition, simple et forte, que la commune condition humaine requiert une solidarité. Ces hommes engagés emplissaient Georges d’admiration »
Et pour conclure- et lier – cette galerie de portraits engagés, celui de Frédéric Nguyen, le- lieutenant de la BRI, en charge de l’enquête, tout aussi désireux de remplir correctement sa mission que les autres protagonistes du drame
Délié des clichés et poncifs attachés aux pratiques religieuses, le roman offre une magistrale réflexion sur la vie spirituelle actuelle, quête de vérité personnelle et la sincérité des différents engagements.
Il pose les bonnes questions sans avoir la prétention d’y répondre…
Une lecture recommandée,
Apolline Elter
Par Etienne de Montety, roman, Ed. Stock, août 2020, 306 pp
Billet de faveur
AE : « Agnès a décidé de considérer l’islam non comme une religion concurrente, mais comme un stimulant pour sa propre vie spirituelle. «
N’est-ce pas là, la clef de voûte et d’interprétation du roman ?
Etienne de Montety : C’est l’une d’elles. Là où certains veulent voir dans l’installation de l’islam au cœur du paysage européen un « choc de civilisation », expression assez vague, d’autres préfèrent, dans le sillage des grands spirituels comme Charles de Foucauld ou le cardinal guinéen Robert Sarah, envisager cet événement comme un défi pour leur propre foi : « Et moi est-ce que je prie cinq fois par jour ? ». « Est-ce que je jeûne vraiment ? » Petite Sœur Agnès choisit cette option plutôt que la déploration ou la défiance.
AE : Et un peu plus loin « Elle en est convaincue, le salut viendra des femmes »
Vous adhérez à ces propos ?
Etienne de Montety : Petite Sœur Agnès est immergée en milieu musulman. C’est là qu’elle observe l’attitude active des femmes pour sortir d’un univers par trop confiné : études, travail, ascension sociale, les jeunes filles qu’elle côtoie sont souvent plus déterminées que leurs frères. Les sœurs d’Hicham Boulaïd (l’un des deux terroristes de mon roman) ne font pas exception.
AE : La personnalité, l’ouverture d’esprit et les doutes du père Georges vous ont-ils été inspirés, pour partie, par le roman Léon Morin prêtre, de feu notre ex-compatriote, Beatrix Beck ?
Etienne de Montety : En choisissant un prêtre comme personnage central de mon roman, j’ai effectivement pensé aux grandes figures de la littérature qui habitent les livres de Barbey d’Aurevilly, de Bernanos ou plus près de nous de Béatrix Beck et son magnifique Léon Morin. Si un roman naît et prospère sur les tensions qui traversent ses figures, alors le prêtre est un excellent personnage : sa place dans la société, son rôle (ministre du culte), son état de vie (célibat), tout en fait un signe de contradiction dans le monde moderne fonctionnel et utilitariste. Son ministère est difficile à exercer avec justesse. C’est pourtant elle, cette place indéfinissable, et pourtant centrale et d’ailleurs familière à tous, croyants ou non, qui était celle du Père Hamel à Saint-Etienne du Rouvray. Voilà pourquoi l’attentat contre lui a tant frappé, et tant ému. Il fut pour moi un déclic, à partir duquel La Grande Epreuve a vu le jour.
Un roman absolument époustouflant !